Éblouissante synthèse entre le fondu de la lumière, les nuances de la palette et une trame architecturée complexe, la peinture de Bonnard « oublie » la profondeur.
En juillet 1946, six mois avant sa mort, Pierre Bonnard qui s’est retiré au Cannet près de Perpignan depuis plusieurs années monte à Paris et va faire un dernier pèlerinage au Louvre. Le directeur de l’époque présente le peintre à un jeune historien d’art, Jean Leymarie, lequel rapportera plus tard que Bonnard lui aurait avoué que « ce qu’il y a de mieux dans les musées, ce sont les fenêtres ». Si la formule ne manque pas de piquant, elle en dit long en revanche sur les préoccupations esthétiques de l’artiste.
Qu’est-ce qu’une fenêtre, sinon un rectangle plan ? Un objet à deux dimensions sur lequel vient se plaquer l’image du monde extérieur. Comme le souligne Suzanne Pagé, la directrice du musée d’Art moderne de la Ville de Paris, on ne dira jamais assez l’importance de la surface chez Bonnard. Ce dernier n’avait-il pas d’ailleurs affirmé que son projet n’était pas de « peindre la vie mais de rendre vivante la peinture » et que son principal sujet était « la surface qui a sa couleur, ses lois, par-dessus les objets ».
Des compositions structurées
Dès la période nabi, l’intérêt de Bonnard pour la lithographie témoigne de ce souci bidimensionnel et d’un jeu de composition où tous les éléments qui la constituent sont traités à égalité de surface. Comme s’il avait voulu faire sienne la fameuse formule de Maurice Denis : « Se rappeler qu’un tableau, avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées ». À l’instar des nombreux paravents et autres panneaux qu’il a réalisés dans les années 1890, les paysages et scènes d’intérieur qu’il multiplie par la suite au cours des trente premières années du xxe siècle présentent des compositions fortement structurées.
Des profondeurs étouffées
Si les thèmes de la terrasse et du balcon lui offrent l’occasion d’un traitement de l’espace qui joue du contrepoint entre un premier plan charpenté et un lointain brouillé, le peintre s’applique toutefois à saturer le champ iconique dans une végétation surabondante qui étouffe l’idée de profondeur. D’autant que l’usage qu’il fait d’une palette lumineuse aux tons égalisés, voire carrément monochrome, comme dans La Terrasse de Vernon (1928), confère au tableau une puissante et magnifique unité plastique.
Davantage contrastés, les intérieurs de Bonnard qui multiplient les jeux formels de mise en abyme et de fragmentation de l’espace mettent en échec toute suggestion volumétrique au bénéfice d’une image du réel qui fait écran. Les différents éléments figurés qui les structurent étant traités comme autant d’objets individualisés – ainsi de Salle à manger à la campagne (1913) –, leur composition paraît fondée sur un principe de juxtapositions qui en renforce l’aspect superficiel. Bonnard se régale par ailleurs des jeux du dehors et du dedans qui lui permettent d’excéder celui-ci en opérant toutes sortes de raccourcis ramenant tout sur un seul et unique plan.
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Bonnard, éloge de la surface plane et de ses lois
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°577 du 1 février 2006, avec le titre suivant : Bonnard, éloge de la surface plane et de ses lois