En 2012, plusieurs chefs-d’œuvre sont entrés dans les collections des musées des collectivités territoriales, œuvres phares qui permettent d’accroître la notoriété et le prestige d’un musée.
2012 aura été une très bonne année pour l’enrichissement des collections des musées territoriaux, un paradoxe surprenant en ces temps de restrictions budgétaires et difficultés économiques.
Parmi les exemples marquants, le Musée Henri-Martin de Cahors a réussi à acheter un ensemble de quinze toiles du peintre symboliste Henri Martin (1860-1943) lors d’une vente publique à Rennes, pour un total de près de 1,5 million d’euros. Il s’agissait de limiter la dispersion d’une collection méconnue comprenant quarante-deux toiles de l’artiste et redécouverte au décès d’un magistrat rennais. Comme souvent lorsqu’il s’agit de réunir une forte somme, cette acquisition de première importance a été rendue possible grâce à un financement partagé entre l’État (500 000 euros), la Région Midi-Pyrénées (300 000), le conseil général du Lot (200 000) et la Ville de Cahors (370 000). Pour lever le reste de la somme, 120 000 euros, une souscription publique a été lancée auprès des particuliers et entreprises. Parmi ces œuvres, Le Pont à Labastide-du-Vert (v. 1920) et Rêverie automnale (1900) forment à elles seules des acquisitions majeures et font du musée le principal lieu pour découvrir cet artiste singulier.
Un montage financier semblable a permis au Musée Fabre à Montpellier d’acquérir un exceptionnel tableau de Leonello Spada, La Lamentation du Christ mort (v. 1610-1611), pour un montant de 800 000 euros, dont plus de la moitié (410 000 euros) est issue du mécénat, grâce à la défiscalisation. L’œuvre, présentée à Tefaf (la foire de Maastricht) en 2011, a longtemps fait partie de la collection Chigi avant d’entrer dans les collections montpelliéraines, au détour de l’exposition « Caravage et le caravagisme » en 2012. L’an dernier, le musée a bénéficié d’une dotation exceptionnelle de sa communauté d’agglomération, ajoutant 750 000 euros à son budget d’acquisition. Outre la toile de Spada, il a acquis trois autres œuvres majeures : deux huiles de François Xavier Fabre et une peinture de Frédéric Bazille, pour un montant global de plus d’1,3 million d’euros.
Effet de synergie
Préemptée en novembre 2012, L’Amour à l’espagnole (1773) de Jean-Baptiste Leprince est venue rejoindre la collection XVIIIe du Musée des beaux-arts d’Angers, première acquisition d’importance pour la nouvelle conservatrice, Ariane James-Sarrazin. Celle-ci a réussi à convaincre le conseil municipal de contribuer à l’achat de cette œuvre (250 000 euros) issue de la collection du marquis de Livois, grand amateur angevin, qui forme le noyau des collections du musée. Cette acquisition devrait mettre en lumière la qualité des collections XVIIIe du musée, qui prépare une grande exposition sur la collection Livois que la municipalité souhaite d’« envergure internationale ».
Le Musée des beaux-arts de Lyon poursuit sa politique tournée vers des pièces prestigieuses : après La Fuite en Égypte de Nicolas Poussin en 2008, trois œuvres de Pierre Soulages en 2011, l’année 2012 a été marquée par l’achat d’une toile de Jean-Auguste Dominique Ingres, L’Arétin et l’envoyé de Charles Quint (1848), avec l’aide primordiale du Club des mécènes du Musée Saint-Pierre, qui a réuni 400 000 euros sur un montant global de 750 000 euros. Une souscription publique a permis de lever 80 000 euros auprès de 1 500 donateurs particuliers, signe de l’engouement du public pour l’acquisition de pièces majeures. Là encore, l’œuvre devrait être la figure de proue d’une exposition sur le courant « troubadour » du début du XIXe siècle, prévue au printemps 2014.
Ces quelques exemples notables d’enrichissement des collections illustrent les difficultés grandissantes des institutions à réunir le budget nécessaire à un achat d’envergure. Il faut toute la persuasion d’une collectivité territoriale pour convaincre les autres acteurs (État, Région, département et Ville) de participer à une opération onéreuse. L’État réduit inexorablement sa participation aux budgets des Fram (Fonds régionaux d’acquisition des musées), abondés conjointement par l’État et les Régions. Les opérations « prestigieuses » sont souvent celles qui, par un effet de synergie, ont le plus de chance de réussir, soutenues par le mécénat et les souscriptions publiques qui se multiplient depuis trois ans. De plus en plus de musées utilisent cet outil dans leur politique d’acquisition, la souscription présentant des avantages pas seulement financiers. En termes de communication par exemple, elle permet d’associer localement les donateurs autour d’un projet commun, de promouvoir une institution et de créer des œuvres « phares » dans les collections permanentes, facilement identifiables par les visiteurs de proximité. Mais à faire trop fréquemment appel au don, les musées courent le risque de voir cet élan de générosité s’essouffler.
D’autres acquisitions moins médiatiques n’en sont pas moins significatives sur le plan scientifique. Ainsi le Musée Granet, à Aix-en-Provence, a acheté fin 2012 un ensemble de Cézanne (une petite huile sur carton, œuvre de jeunesse non répertoriée ; deux lithographies et plusieurs dizaines de livres sur le maître d’Aix) pour 300 000 euros, de quoi enrichir les archives et les collections du musée. À Rouen, le Musée des beaux-arts a fait l’acquisition, pour 190 000 euros, d’une huile sur toile intitulée Ruines de la chapelle de l’abbaye de Valmont (1831) de Delacroix ainsi que trois dessins préparatoires, enrichis du don de trois autres dessins offerts par le marchand. Un ensemble cohérent qui permet de documenter les liens de Delacroix avec la Normandie. À Cambrai (Nord), l’achat, pour 200 000 euros, d’un tableau caravagesque attribué à Jean Ducamps, un Saint Jérôme (1re moitié du XVIIe siècle) représente l’acquisition la plus importante du Musée des beaux-arts depuis sa réouverture en 1994. L’œuvre est venue compléter un accrochage quelque peu lacunaire sur cette période.
Dons et legs
Autre source d’enrichissement des collections, les dons et legs sont tout aussi essentiels que les achats. Résultant de liens tissés avec les collectionneurs, marchands, sociétés d’amis et artistes, les dons offrent de belles surprises. Ainsi en 2011, le Musée du dessin et de l’estampe originale à Gravelines (Nord) a reçu un legs de 1 359 estampes contemporaines, venant renforcer une collection de 10 000 estampes et dessins.
Le Musée des beaux-arts de Lyon, encore une fois, se signale avec le don d’une toile de Jean-Joseph-Xavier Bidauld, Vue de Tivoli (vers 1650), d’une valeur de 240 000 euros. Offert par un couple d’amateurs lyonnais, le tableau avait été exposé dans les salles du musée en 2010 lors d’une exposition-dossier : ce type de don illustre l’ancrage du musée auprès des amateurs et collectionneurs locaux. Mais c’est à Rodez (Aveyron) que la donation la plus importante de 2012, à l’exception de la donation Lambert, est intervenue : le futur « Musée Soulages » a reçu du peintre un ensemble de treize peintures des années 1946-1949 et un Outrenoir monumental. Un cadeau de Pierre Soulages estimé à 6,8 millions d’euros qui a conforté les collectivités locales dans leur choix de construire un musée dans la ville natale de l’artiste.
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Bon cru pour les musées en régions
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°397 du 20 septembre 2013, avec le titre suivant : Bon cru pour les musées en régions