Exposition

Amélie Lavin : « Au Mucem, nous voulions une expo "Naturistes" qui ne soit pas interdite au moins de 18 ans »

Par Christine Coste · L'ŒIL

Le 28 juillet 2024 - 1428 mots

MARSEILLE

À Marseille, « Paradis naturistes » est la première exposition anthropologique sur les naturistes en Allemagne, en Suisse et en France. Elle est le fruit d’une longue enquête auprès de communautés et d’associations de naturistes. Le MuCEM en retrace l’histoire méconnue. Entretien avec Amélie Lavin, conservatrice en chef et commissaire.

Famille en vacances au Club gymnique de France (CGF), vers 1930. © Club gymnique de France.
Famille en vacances au Club gymnique de France (CGF), vers 1930.
© Club gymnique de France
Que révèle cette exposition ?

Une histoire riche, complexe et plurielle de plus d’un siècle. Il y a eu, et il y a, différentes façons d’être naturiste. Le naturisme véhicule beaucoup d’idées reçues, la première associant naturiste et nudiste alors que la nudité n’est qu’un élément du naturisme. Le naturisme est une philosophie, une manière de vivre où il s’agit de retrouver un lien plus direct, plus nourrissant avec la nature. Les premiers naturistes n’étaient d’ailleurs pas tous nus puisque la nudité au début du XXe siècle, ou entre les deux guerres, était interdite par la loi. Il a fallu du temps pour que les corps se dénudent progressivement, puis complètement.

Quelles sont les premières expériences ?

Elles sont allemandes et sont menées à la toute fin du XIXe, début du XXe siècle, sous la forme de communautés ou de colonies. Elles sont liées au mouvement de la Lebensreform (« réforme de la vie »), né en Allemagne à la fin du XIXe siècle et nourri par une pensée plutôt anarchiste ou de réformes sociales, et par les premiers courants végétariens et hygiénistes. Ces expériences isolées sont alors en lutte contre l’industrialisation et la croissance des villes. Elles rejoignent une pensée plus globale de retour à la nature entamée à la fin du XVIIIe siècle. Leur propagation en Suisse recouvre également différentes expériences comme celle de Monte Verità dans le Tessin. Il faut se rappeler que jusqu’à la Première Guerre mondiale, la tuberculose tue beaucoup de gens. Les seuls soins proposés sont alors le soleil et l’air de la mer, puis des montagnes. La dimension sportive, danse ou gymnastique par exemple, est également très importante pour ces protonaturismes. Il s’agit de fortifier le corps, notamment celui des plus jeunes, par le sport, en particulier en plein air.

Comment ces mouvements se développent-ils en France ?
Jacques-Joseph Muller, dit Jacomo, Leysin, air et soleil, affiche vers 1930, Bibliothèque nationale suisse. © Fonds Jacques-Joseph Muller (Jacomo)/Bibliothèque nationale suisse
Jacques-Joseph Muller, dit Jacomo, Leysin, air et soleil, affiche vers 1930, Bibliothèque nationale suisse.
© Fonds Jacques-Joseph Muller (Jacomo) / Bibliothèque nationale suisse.

Le terme de naturisme comme doctrine médicale qui consiste à considérer la nature comme seule capable de guérir le corps apparaît pour la première fois dans les écrits de deux médecins : Théophile de Bordeu en 1768, puis en 1778 dans ceux de Jean Baptiste Luc Planchon. Les premiers qui réactivent ces idées au début du XXe siècle sont aussi des médecins, comme les frères Gaston et André Durville. Ils exercent dans leur cabinet parisien, établissent un programme global de santé et créent des lieux naturistes. Entre 1926 et 1928, le Sparta Club, première communauté à s’ouvrir dans l’Eure, est une émanation d’une salle de sport – elle aussi dénommée Sparta Club –, fondée à Paris par un médecin naturiste (Marcel Viard) et un professeur d’éducation physique (Marcel Kienné de Mongeot), où l’on pratiquait le sport dans l’esprit hygiéniste des premiers naturistes.

Quel a été l’âge d’or du naturisme ?

Il y en a eu plusieurs. Le premier, entre 1920 et 1939, est une période où se construit l’appareil théorique avec l’édition d’ouvrages et des premières revues. Les premières communautés se développent et mettent en pratique les théories élaborées par des médecins, comme la communauté de Physiopolis sur l’île de Platais, à Villennes-sur-Seine, fondée par les frères Durville. Apparaissent alors les premiers débats sur la nudité et ses bienfaits sur le corps, notamment sur la préconisation, ou non, de la nudité intégrale. L’après-guerre marque un autre âge d’or. Fondée en1930 par les mêmes frères Durville, la communauté d’Héliopolis sur l’île du Levant s’accroît à partir des années 1950. Le Levant devient le lieu où toute la Riviera vient découvrir la beauté de l’île, profiter de la liberté qu’offre la nudité et de l’ambiance festive. Ce sont aussi les années de la création en 1950, par Albert et Christiane Lecocq du Centre héliomarin de Montalivet, sur le littoral aquitain, pionnier en matière de naturisme familial et populaire. Un an plus tard, le couple fonde la Fédération française de naturisme, organe de diffusion d’un naturisme grand public qui enclenche une ouverture du mouvement à d’autres classes sociales. Le naturisme était en effet resté jusque-là un phénomène plutôt bourgeois bien qu’une histoire du naturisme ouvrier se soit déployée en France dans les années 1930. Les constructions architecturales qui transforment, dans les années 1960-1970, le camping de naturistes du Cap d’Agde, sur la côte languedocienne, en un vaste complexe, marquent une autre période d’expansion et de changement d’échelle pour ce type d’infrastructures sans équivalent en Europe. On vient des pays du Nord pour profiter du climat méditerranéen ou aquitain. La France devient la première destination touristique en Europe pour le naturiste. Et le demeure avec 40 % des pratiquants, allemands et néerlandais.

La dimension ultrasexuelle du naturisme qui s’est développée au Cap d’Agde n’a-t-elle pas toutefois parasité l’identité du mouvement ?

C’est au Cap d’Agde en effet que le naturisme a commencé à être associé au libertinage et que les positionnements au sein même des naturistes se sont clivés. Ce qui a ajouté sans doute beaucoup de confusion et fait oublier que le naturisme est d’abord une manière de vivre, et les infrastructures, des lieux de vie qui ont toujours brassé des familles et des célibataires de tous les âges. Les premiers naturistes qui se sont installés avec les frères Durville souhaitaient vivre à l’année au Levant. C’est une histoire aussi de transmission familiale. On y va enfant, puis on y amène son conjoint ou sa conjointe. On y vient passer ses vacances.

Amélie Lavin, Conservatrice en chef au Mucem. © Corsin Vogel.
Amélie Lavin, Conservatrice en chef au Mucem.
© Corsin Vogel
Peut-on dire qu’être naturiste est un acte militant ?

Oui, car nombre de naturistes militent pour dépénaliser la nudité et pour un droit à être nu plus facilement partout où ils le souhaitent. L’ouverture d’un espace naturiste dans le bois de Vincennes en 2019 a été obtenue par militantisme, tout comme la calanque des Pierres Tombées à Marseille en 2022. Les fédérations, notamment la Fédération française de naturisme, militent pour un naturisme inclusif, respectueux. Ces communautés rassemblent des personnes qui sont plutôt à l’aise avec leur corps. Se mettre nu les amène à se libérer d’un jugement social et esthétique très présent le reste du temps dans la société.

Comment l’iconographie de la représentation du corps a-t-elle évolué ?
Paradis naturistes, Bernard Andrieu et Amélie Lavin, Édition La Martinière, 240 p
Paradis naturistes, Bernard Andrieu et Amélie Lavin, Édition La Martinière, 240 p.
© Édition La Martinière

Au début, dans les années 1920-1930, l’idée est de construire un corps sain et en bonne santé. Sur le modèle de la statutaire grecque antique, le corps doit être mince et tonique. L’injonction du sport répond à cet idéal autant pour les hommes que pour les femmes. À partir des années 1950, le modèle de la pin-up prédomine. Pendant quarante ans, la promotion pour les lieux naturistes se fait par une forme de marchandisation du corps féminin très présent et érotisé, posant dans des attitudes langoureuses, en maillot de bain ou seins nus, puis entièrement nus. L’iconographie qui se développe durant ces années est celle que connaît le cinéma et qui se déploie sur les cartes postales, dans les revues, en particulier érotiques tel Playboy. Cela a conforté les idées reçues sur le naturisme alors que cette pratique permet justement d’échapper aux injonctions corporelles très fortes de notre société. Nous avons des témoignages de femmes qui racontent comment le naturisme les a aidées à accepter leur corps et à se défaire d’une forme d’emprise du regard masculin sur leur corps.

Quelles ont été les contraintes de cette exposition en matière iconographique ?

On voulait une exposition qui ne soit pas interdite aux moins de 18 ans et qui s’adresse à tous. Ce qui signifiait d’éviter les images trop sexualisées sans pour autant perdre ce que nous voulions montrer. C’est-à-dire la dimension familiale du naturisme et des corps de tous les âges, tout en prenant des précautions particulières pour les enfants, sur les conseils d’une avocate, pour ne pas être soupçonnés de pédopornographie. Notre problématique essentielle a surtout été le droit à l’image et de retrouver les gens sur les photos pour avoir leur autorisation.

Aujourd’hui, comment se porte le naturisme ?

Un peu avant le Covid et peu de temps après, les chiffres montraient un regain pour le naturisme. C’est assez logique. Cet intérêt fait sens quand on a des préoccupations écologiques et le souci d’avoir un contact plus direct avec la nature. Certaines communautés naturistes sont cependant menacées comme à Montalivet et au Levant. Ce sont de véritables coins de paradis que convoitent depuis peu de temps les spéculateurs immobiliers. Cette première exposition en France sur le naturisme peut être aussi le début d’une réflexion sur la patrimonialisation et la protection de ces espaces naturels du littoral.

Amélie Lavin
est conservatrice en chef au MuCEM, responsable du pôle « Corps, apparences, sexualités ».
À voir
« Paradis naturistes »,
MuCEM - Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, 1, esplanade J4, Marseille (13), du 3 juillet au 9 décembre 2024.
À lire
« Paradis naturistes, »Bernard Andrieu et Amélie Lavin,
Édition La Martinière, 240 p., 35 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°777 du 1 juillet 2024, avec le titre suivant : Amélie Lavin : « Au Mucem, nous voulions une expo "Naturistes" qui ne soit pas interdite au moins de 18 ans »

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