Un buste de Staline installé dans le centre de Moscou

Une étape importante dans la réhabilitation du dictateur Joseph Staline a été franchie vendredi dernier, lorsque son buste a été inauguré dans le centre de Moscou. L’oeuvre a été commandée au sculpteur Zourab Tsereteli (83 ans) par la Société d’histoire militaire russe, présidée par le ministre de la culture Vladimir Medinsky. C’est cette même société qui avait installé en juillet dernier une imposante statue d’Ivan le Terrible, un autre dirigeant russe très controversé.

Zourab Tsereteli a réalisé une oeuvre au style parfaitement académique. Le buste de Staline se tient aligné en rang d’oignon avec les bronzes des Tsars et secrétaires généraux du parti communiste. Ils forment ensemble « l’allée des dirigeants », traversant le jardin du siège de la Société d’histoire militaire russe. Tous les bustes sont l’oeuvre de Tsereteli, qui a d’ailleurs été accusé de plagiat pour certains d’entre eux.

L’hommage rendu au dictateur intervient après une décennie de réhabilitation progressive, à travers des petites phrases de Vladimir Poutine sur « le manager talentueux » et des éloges au « vainqueur du nazisme », tandis que ses crimes sont minorés, justifiés ou ignorés. Staline est aujourd’hui considéré par une majorité de Russes comme la figure la plus remarquable de l’histoire mondiale.

Il existe un buste de Staline (installé à sa mort) sur la Place rouge, largement dissimulé aux yeux des passants par une haie et le Mausolée de Lénine. Il y a aussi une statue de marbre d’époque (dont le nez a été intentionnellement cassé) placée dans un « parc cimetière » de statues soviétiques. Mais c’est la première fois qu’une sculpture de Staline est commandée par un organisme officiel russe depuis le dégel de 1956.

D’origine géorgienne (comme Staline), Zourab Tsereteli est le président de l’académie des beaux-arts russes depuis 1997. Très complaisant avec les dirigeants, il a, entre autre, réalisé une sculpture de Vladimir Poutine en judoka et entretenu une amitié profitable avec l’ancien maire de Moscou Iouri Loujkov, qui lui a permis de parsemer la capitale russe de ses oeuvres (dont son “Pierre le Grand” mesurant 100m de haut). Interpellé durant la cérémonie d’inauguration sur les crimes de Staline, Tsereteli a répondu : « mon grand-père a été fusillé [pendant la grande terreur]. Mais je ne sais pas s’il avait raison ou non ». Une phrase qui s’inscrit dans l’idéologie dominante propagée par la société d’histoire militaire russe, selon laquelle les dirigeants russes ont toujours raison et où la raison d’État prime sur tout le reste.

C’est encore cette société d’histoire militaire russe qui a inauguré mardi dernier dans le centre de Moscou une imposante statue de Mikhaïl Kalachnikov, créateur du fusil d’assaut portant son nom. « Kalachnikov, c’est notre marque culturelle russe », avait alors déclaré le ministre de la culture Vladimir Medinsky lors de la cérémonie. Une gaffe monumentale du sculpteur Salavat Shcherbakov (62 ans), repérée le surlendemain par un expert militaire, a toutefois gâché la flamme patriotique des sociétaires. Parmi les quatre fusils sculptés en bas-relief dans la base du monument, et supposés créés par Kalachnikov, figure le STG 44, le principal fusil d’assaut de la Wehrmacht, qui a contribué à décimer l’armée rouge. Confondu, Schcherbakov a admis son erreur et promis d’y remédier. Le scandale a pris une tournure encore plus cocasse lorsque les ouvriers venus retirer d’urgence le bas-relief controversé ont été interpellés vendredi par la police moscovite. Les deux hommes ont été emmenés au poste de police puis relâchés quelques heures plus tard. Dans « le pays au passé imprévisible », le privilège de couler du bronze échoit aux artistes plaçant le zèle loin devant le talent.