Ventes aux enchères

Confusion dans la liquidation du fonds de manuscrits d’Aristophil

Par Vincent Noce · lejournaldesarts.fr

Le 22 février 2016 - 780 mots

PARIS

PARIS [22.02.16] - Le TGI a attribué l’administration judiciaire d’une partie du fonds de la société Aristophil à Me Monique Legrand qui ne cache pas ses intentions de confier les manuscrits à une société de défaisance créée par un ancien courtier d’Aristophil.

La situation d’Aristophil, le négociant en manuscrits en voie de liquidation, est-elle en train de devenir inextricable? Un an après la mise en examen de ses dirigeants pour escroquerie, force est en tout cas de constater la confusion née de la multiplicité des procédures, qui commencent à entrer en collision entre elles.

L’enjeu aujourd’hui porte sur un ensemble de 130 000 pièces qui a été vendu en indivisions. Me Monique Legrand a été nommée par le vice-président du TGI de Paris, Patrice Kurz, administratrice provisoire de 52 collections, placées sous séquestre. Elle affiche sa détermination de les confier à une société appelée Patrimoine écrit, qui bénéficie du soutien de Gérard Lhéritier, le président-fondateur d’Aristophil.

Cette « structure de défaisance » s’appuie sur une association de clients qui revendique 3 000 membres. Son fondateur, Frédéric Vieillard, qui fut un courtier d’Aristophil dans le sud-ouest, a déposé les statuts le 5 décembre avec trois autres investisseurs, avec un capital de départ de 1 850 €. Il la présente comme une « société mutualiste prête à gérer et valoriser les collections en toute transparence », bénéficiant du soutien de la banque OBC. « Evalués à 925 000 €, les frais de gestion tout compris seraient couverts par un CA représentant 1,2 % du capital investi. Nous avons signé des partenariats avec Sotheby’s, Artcurial et Ader-Nordmann, pour étaler les ventes sur plusieurs années, en fixant des prix de réserve de 60 à 70 % de la valeur, sous l’égide d’un comité scientifique dont Serge Lemoine (ancien directeur du Musée d’Orsay) a accepté de faire partie ».

Alléguant de ces garanties, le 1er février, Me Legrand a obtenu du même Patrice Kurz une ordonnance l’autorisant à confier à cette société la garde et la vente des 52 collections, au fur et à mesure de leur déblocage par la Justice. Elles comptent les archives de Romain Gary, le rouleau des 120 Journées de Sodome écrit par Sade à la Bastille, le testament politique de Louis XVI, un manuscrit d’Alexandre Dumas dédié au tsar Nicolas, un premier jet de Mozart d’un air des Noces de Figaro, des partitions de la main de Chopin et Beethoven, des missives de Napoléon, des autographes de Flaubert, Proust, Hugo, Baudelaire, Zola ou encore « les manuscrits secrets du général de Gaulle à Londres », pourtant revendiqués par l’Etat.

Cette ordonnance a suscité la réaction de plusieurs avocats des parties civiles, qui y voient une « décision lourde de conséquences prise dans la plus grande opacité en faveur d’une société à peine née ». Le cabinet Lysias a notamment écrit au tribunal de commerce pour réclamer que les clients soient consultés sur les contrats de garde, en mettant en garde contre une situation pouvant générer indéfiniment des frais au risque de leur faire perdre à terme le contrôle de leurs biens.

L’ordonnance a également provoqué l’opposition de Me Valérie Leloup-Thomas, chargée, elle, de la liquidation judiciaire d’Aristophil. L’administratrice provisoire craint un court-circuitage de la procédure qu’elle a engagée pour trouver un repreneur, qui doit donner lieu à un examen du tribunal de commerce le 7 mars. Jeudi 18 février, elle a demandé en urgence l’annulation de l’ordonnance. La décision est attendue aujourd’hui lundi 22 février, mais elle promet de n’être qu’un épisode de la bataille.

De son côté, Me Legrand réclame à sa consœur la remise des collections, des 2 000 classeurs des dossiers clients ainsi qu’une copie du logiciel de la base de gestion du fonds.

Devant ce méli-mélo, de sa retraite de Nice, Gérard Lhéritier ne manque pas de savourer sa revanche. Il avait déjà jubilé en lisant l’appel lancé aux repreneurs, qui vantait « une collection d’une valeur patrimoniale et financière exceptionnelle, dont la valeur totale est estimée à plusieurs centaines de millions d’euros ». « On a prétendu qu’elle ne valait presque rien ! », s’exclame le fondateur de l’entreprise, qui voit « démolis les éléments de l’accusation » à son encontre. Son défenseur, Me Francis Triboulet, a du reste demandé à la chambre d’instruction la libération des 120 millions d’euros saisis sur les comptes. Cette autre décision est attendue le 29 février.

En attendant, la juge financière Charlotte Bilger poursuit son instruction. Après Gérard Lhéritier, sa fille et son comptable, puis les dirigeants des sociétés de placement Finestim et Art Courtage cet été, c’est au tour du notaire de Nice qui authentifiait les contrats, Me Jérôme Gautry, d’avoir été mis en examen le 14 janvier.

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