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Eglise d’Abbeville : chronique d’une destruction annoncée

Par Margot Boutges · lejournaldesarts.fr

Le 20 février 2013 - 719 mots

ABBEVILLE [20.02.13] - Clocher décoiffé, chœur éventré et vitraux brisés offerts aux quatre vents : l’église néogothique Saint-Jacques d’Abbeville (Somme) appartenant à la municipalité est en train d’être rasée. Son sort semble avoir été fixé depuis longtemps.

Dans la nuit du 31 janvier 2013, des blocs de pierres sont tombés du contrefort de l’édifice bâti entre 1868 et 1878 par Victor Deleforterie, émule de Viollet-Le-Duc. Le maire de la ville élu en 2008, Nicolas Dumont (PS) a aussitôt signé un arrêté de mise en sécurité pour danger immédiat.

Un expert mandaté par la cour d’appel d’Amiens, est venu le 4 février au petit matin. Après examen, il a préconisé « la destruction complète de l’église » de 60 mètres sur 25 ceinturée par des habitations et une école et dont le clocher de 65 mètres et le chœur « menacent de s’écrouler ».

Cet incident est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase pour la municipalité propriétaire de l’église Saint-Jacques dont la démolition est régulièrement évoquée depuis une tempête de l’hiver 2004. La chute d’un pinacle avait notamment provoqué un grand trou, jamais comblé, dans la couverture de la nef d’une église déjà fragilisée. Le conseil municipal s’est réuni le 7 février et a voté à l’unanimité la démolition du bâtiment, qui avait déjà commencé quelques jours plus tôt par mesure préventive.

Les grues de l’entreprise Apinor sont aujourd’hui en action sur la place de la petite cité de pierre rouge de 24 000 habitants, détruite à 80 % par les bombes durant la Seconde Guerre mondiale. Derrière les barrières de protection, de nombreux riverains, certains émus, suivent l’évolution du chantier qui durera trois mois. Les 7000 signatures de la pétition mise en ligne par le « collectif Saint Jacques » pour « sauver » l’édifice n’auront servi à rien. Michelle Delage, présidente de cette association créée en 2010, regrette que la Ville, n’ait pas lancé un projet de rénovation « quand il était encore temps », se contentant de fermer les portes de l’édifice au public. Jean-Marc Dumoulin, architecte de la Ville, faisait entendre en 2010 au Figaro qu’il avait alerté la Ville « dès 1997, des nécessités de lancer des travaux de restauration ». Il n’est aujourd’hui plus autorisé à s’exprimer.

Abandonnée aux infiltrations d’eau depuis des décennies et au fil des mandats d’élus, l’église a subi la dégradation et l’altération des pierres calcaire qui ont provoqué la chute de la voute. Ces variations climatiques ont aggravé une déstructuration de la maçonnerie liée à un sol instable.

Vincent Brunelle, architecte en chef des Monuments Historiques, avait estimé en 2008, à 4,2 millions d’euros les travaux pour consolider l’église. Selon le maire, une restauration totale du bâtiment coûterait au moins 10 millions d’euros, « une dépense à laquelle on n’aurait pu faire face sans augmenter les impôts de 10 points ».

Les opposants regrettent que d’autres sources de financement n’ont pas été recherchées, ni appel à la Région, ni lancement de souscription. Pourtant selon Jean-Marie Hemerlé, adjoint au maire chargé de l’urbanisme, la ville a rempli un dossier de demande de subvention à la DRAC Picardie. Celle-ci a répondu que son champ d’action ne concernait que les monuments inscrits ou classés, ce qui n’est pas le cas de Saint-Jacques.

Si le sort de l’église est aujourd’hui joué, celui de l’orgue qu’elle abrite reste encore en suspens. Une grande partie du patrimoine mobilier de l’édifice (Christ en croix, fonts baptismaux…), protégé au titre des monuments historiques, a été extrait des murs pour rejoindre les réserves du Musée municipal Boucher de Perthes. L’orgue, fabriqué en 1906 par Charles Mutin, considéré par les organistes comme « d’une qualité rare » (Le courrier Picard, 12 février), n’a pas pu être extrait de la tribune, dont les escaliers ont été bloqués par des éboulis.

Selon Jean-Marie Hemerlé, un expert viendra prochainement estimer s’il est possible de sauver l’instrument lorsque la démolition sera plus avancée. En attendant, les chutes de pierres engendrées par le démontage du clocher, qui ont déjà détruit une gargouille et l’ordinateur de la grue au cours des derniers jours, pourraient avoir raison de l’orgue. « Notre priorité est la sécurité des riverains et des ouvriers », déclare Jean-Marie Hemerlé. Pour cet instrument, déjà endommagé par la chute du pinacle de la tempête de 2004, la messe semble dite.

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Détail de la démolition de l'église d'Abbeville - 2013 - © Photo Margot Boutges pour Le Journal des Arts

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