BERLIN (ALLEMAGNE) [16.07.12] – L’annonce de la Fondation de l'Héritage culturel de Prusse de créer à Berlin un musée des Modernes en déplaçant les grands Maîtres anciens suscite une vive polémique dans le monde de l’art.
Au départ, il s’agissait d’une bonne nouvelle : de façon tout à fait inattendue, le Bundestag, le Parlement allemand, a débloqué dix millions d’euros pour rénover le musée Gemäldegalerie afin d’accueillir la collection d’Ulla et Heiner Pietzsch. Le couple a en effet promis de donner au Land de Berlin sa collection composée d’environ 150 œuvres surréalistes et de l’expressionisme abstrait, et estimée à 120 millions d’euros, à la condition expresse que celui-ci assure la pérennité des œuvres.
A l’annonce du parlement, la Fondation de l'Héritage culturel de Prusse, organisme qui chapeaute les dix-sept musées d’Etat de Berlin, a ainsi décidé de créer un « musée des modernes » qui abritera non seulement la collection Pietzsch, mais également les inestimables trésors de la Neue Nationalgalerie (notamment Dix, Grosz, Kirchner), qui restent dans les réserves par manque chronique de place. Les deux musées étant situés à proximité, un ensemble cohérent d’art moderne et contemporain serait développé dans le quartier du Kulturforum. Non loin de là sont également venues récemment s’installer des galeries majeures d’art contemporain telles qu’Esther Schipper, Isabella Bortolozzi ou bien encore Matthias Arndt.
Le hic ? La Gemäldegalerie, qui a ouvert en 1998, abrite actuellement une des plus importantes collections de peintures anciennes, datant du XIIIe au XVIIIe siècle, dont pas moins de dix-sept Rembrandt. Cette collection doit faire place aux tableaux modernes, pour aller s’installer dans l’Île aux musées, au musée Bode qui accueille actuellement les sculptures et l’art byzantin. L’idée d’Hermann Parzinger, Président de la Fondation de l'Héritage culturel de Prusse, était ainsi de rendre hommage à Arnold Bode, qui dès 1904, avait préconisé de rassembler peintures et sculptures. Mais l’espace n’étant pas illimité, il deviendrait nécessaire de construire un nouveau bâtiment sur l’Île aux musées pour pouvoir exposer l’intégralité des deux collections. A terme, en 2018, l’Île aux musées deviendrait un « Louvre » berlinois, un musée universel allant de l’antiquité jusqu’au XIXe siècle.
Ce qui sur le papier semble être une idée logique, et une rationalisation des collections, a provoqué un tollé dans le monde de l’art, et a tourné au débat Anciens contre Modernes. L’association des historiens de l’art a rédigé une lettre ouverte au Ministre de la Culture allemand Bernd Neumann pour protester contre ce projet. Selon eux, en raison du manque de place au musée Bode, de nombreux chefs-d’œuvre devront être stockés dans les réserves et ne seront plus accessibles au public pendant plusieurs années, voire décennies, ce qu’ils jugent inacceptable. D’autant plus, déclarent-ils dans la lettre, que la collection Pietzsche à l’origine de ce débat, malgré une valeur marchande élevée ne contient qu’une poignée de chefs-d’œuvre.
Il ne faut pas non plus oublier que les collections de Berlin n’en finissent pas de se réorganiser. Comme le souligne les historiens de l’art, cette collection de peinture ancienne avait rouvert depuis seulement quatorze ans, après une interruption de 75 ans due à la guerre, puis à la division des collections d’art entre l’Allemagne de l’ouest et l’Allemagne de l’est.
Jeffrey Hamburger, professeur à Harvard d’histoire de l’art et de la culture allemande, s’est joint au concert de protestations et a rédigé une pétition adressée à Hermann Parzinger. Il enjoint également de ne pas mettre en œuvre ce projet tant qu’une solution n’est pas trouvée pour exposer la collection de peintures anciennes dans son intégralité. Selon le quotidien allemand Tagesspiegel, la restructuration des collections ne serait pas achevée avant 2020.
Le Secrétaire d’Etat à la culture du Land Berlin, André Schmitz, défend quant à lui le projet de réorganisation dans l’hebdomadaire allemand Die Zeit, en affirmant que la création d’un musée des Modernes « comblerait une brèche que la barbarie culturelle des nazis a creusé », en exposant de manière permanente l’art que le troisième Reich qualifiait de dégénéré.
En attendant, ces débats profitent à la Gemäldegalerie, qui connaît un regain d’affluence, alors qu’elle peinait jusqu’ici à attirer le public en raison précisément de sa localisation peu opportune sur le Kulturforum.
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Anciens contre Modernes : vive controverse autour du projet de réorganisation des musées berlinois
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Abonnez-vous dès 1 €Le musée de Bode sur l'île aux musées à Berlin - © Photo Christian Thiele - 2005 - Licence CC BY-SA 3.0