Les chefs-d’œuvre cachés durant la Seconde Guerre mondiale sont à nouveau exposés dans le bâtiment tout juste restauré de l’Île aux musées.
BERLIN - Le Bode Museum, situé à Berlin dans le quartier de l’Île aux musées, a rouvert ses portes le 19 octobre, offrant au public le plus grand ensemble au monde de sculpture européenne postclassique, d’art byzantin et de numismatique (lire le JdA no 230, 3 fév. 2006, p. 7). Comme l’a souligné lors de l’inauguration le directeur du British Museum à Londres, Neil MacGregor, « il n’y a que le Victoria and Albert Museum à Londres et le Louvre à Paris qui aient un objectif comparable, mais ils n’ont pas eu l’audace de réunir un nombre si considérable d’objets. Pour la première fois, l’Europe peut contempler son histoire esthétique, religieuse, intellectuelle et politique en trois dimensions ». Voilà près de soixante-dix ans que les collections du Bode Museum furent évacuées, lors du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Le bâtiment fut ensuite bombardé par les Alliés. Bien que le gouvernement communiste d’Allemagne de l’Est ait rouvert le musée après guerre, les collections berlinoises étaient dispersées et les bâtiments de l’Île aux musées restèrent cruellement négligés.
L’histoire des musées berlinois dans l’après-guerre trouve un résumé emblématique dans ce qui arriva à la Vierge à l’Enfant sculptée par Nicolaus Gerhaert von Leyden. Lors du conflit, les deux personnages de bois furent séparés. Quand le rideau de fer tomba, la Vierge resta à Berlin-Est et l’Enfant se retrouva à Berlin-Ouest. Ils sont aujourd’hui réunis au Bode Museum.
Restauration réussie
Le musée restauré est spectaculaire. Cet édifice de style baroque a été rénové de fond en comble dans le respect de son ambiance d’origine. La présentation est séduisante et la disposition des sculptures et des peintures, réussie. L’entrée se fait par la grande coupole, sous laquelle s’ouvrent deux longues enfilades de salles, tandis qu’un escalier monumental conduit à l’étage supérieur. Six salles sont consacrées à la numismatique, les soixante autres à la sculpture et à une sélection de tableaux ; les pièces sont réparties géographiquement, de l’Antiquité tardive (300 apr. J.-C.) au néoclassicisme. Le cœur du bâtiment abrite, dans le style florentin de la Renaissance, la « basilica », rassemblant dans des niches des peintures d’autel italiennes.
La restauration du Bode Museum ne peut être comprise qu’en référence à son passé, reflet de l’histoire allemande récente. Conçu par Ernst von Ihne, le musée fut ouvert en 1904 pour exposer la collection impériale de peintures et de sculptures sous le nom de « Kaiser Friedrich Museum », selon le vœu de Guillaume II désireux d’honorer son père Frédéric III. À l’issue de la Première Guerre mondiale, après la défaite de l’Allemagne, l’empereur abdiqua et la république fut instaurée.
En 1939, les musées berlinois furent vidés de la plupart de leurs collections, qu’on envoya dans des abris variés, depuis des tours de défense aérienne aux environs de la ville jusqu’à une mine de sel autrichienne. Après la défaite du Troisième Reich, les œuvres récupérées par les soldats américains et britanniques furent rassemblées à Munich avant d’être renvoyées à Berlin. Les pièces qui se trouvaient dans les zones occupées par l’Armée rouge furent emportées en URSS. Certaines furent restituées en 1956-1957, mais d’autres se trouvent toujours en Russie. Une bonne part des collections berlinoises fut également pillée par des particuliers ou détruite au cours des combats.
Dans l’intervalle, la division de la ville devint officielle en 1949, avec la création des deux Allemagnes et le partage de Berlin, où deux administrations muséales distinctes virent le jour. L’Île aux musées échut à la République démocratique allemande. Les communistes envisagèrent de démolir le Kaiser Friedrich Museum pour moderniser ce quartier associé au souvenir impérial. Le musée échappa heureusement à la destruction même s’il changea de nom, en devenant en 1956 le « Bode Museum », du nom de son premier directeur, Wilhelm von Bode. Les bombardements alliés avaient détruit la quasi-totalité de la toiture et une grande partie de l’intérieur de l’édifice. Le bâtiment fut restauré progressivement, mais au détriment de son cachet d’origine. Les splendides sols carrelés furent recouverts de linoléum gris et des couches de peinture défigurèrent les plafonds de bois à caissons Renaissance. La modernisation complète de l’intérieur fut l’objet de projets audacieux, restés par bonheur sans suite faute d’argent. La réunification de l’Allemagne en 1989 conduisit à revoir le sort des collections berlinoises jusqu’alors dispersées de part et d’autre du Mur. On proposa de réunir toutes les peintures au Bode Museum, mais il fut décidé d’affecter l’institution aux sculptures, à l’art byzantin, aux monnaies et à un choix de tableaux. Le musée fut fermé en 2000 pour six années de rénovation menée sous la direction des architectes Christoph Fischer et Heinz Tesar. Le coût de cette restauration, d’un montant de 162 millions d’euros, a été entièrement assumé par l’État allemand.
Les locaux techniques cachent un système de climatisation moderne. Les deux coupoles ont retrouvé leurs riches couleurs d’origine et le bâtiment a recouvré une grande partie de son faste primitif. Les murs de nombreuses salles ont été reconstruits selon leur configuration d’origine. Le musée présente aujourd’hui 1 700 sculptures, 150 tableaux et 4 000 pièces de monnaie. La disposition des objets manque de densité, mais permet de voir les œuvres dans les meilleures conditions (pour les spécialistes, les réserves abritent beaucoup d’œuvres secondaires). L’ordonnancement des salles est parfois déroutant, mais cela paraît inévitable compte tenu de l’architecture malcommode de l’édifice et du spectre géographique et chronologique des collections. Enfin, les sous-sols reconstruits du Bode Museum devront un jour communiquer avec une galerie archéologique souterraine courant tout le long de l’Île aux musées. Un autre projet.
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Le Bode Museum renaît à Berlin
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°247 du 17 novembre 2006, avec le titre suivant : Le Bode Museum renaît à Berlin