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Vingt ans après sa création, le Jeu de paume est bien installé

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 18 septembre 2024 - 936 mots

Si sa création en 2004 s’était accompagnée de polémiques, le centre d’art dévolu à l’image photographique s’est depuis enraciné dans le paysage parisien et a mis un pied à Tours et à Reims.

Paris. Lorsque, le 30 janvier 2004, Jean-Jacques Aillagon, ministre de la Culture et de la Communication, dévoile une série de mesures visant « une meilleure visibilité, plus de force et de cohérence à l’action de l’État en faveur de la photographie », la reconversion profonde de la Galerie nationale du Jeu de paume, place de la Concorde, est actée. L’institution vouée jusqu’alors à l’art moderne et contemporain devient un « lieu fédérateur de l’ensemble des champs de la photographie, historiques et actuels ». Pour Daniel Abadie, son directeur à l’époque, cette annonce est synonyme de son départ après une programmation qui a fait du site une référence en matière d’expositions, avec « Dubuffet » (1991), « Arman » (1998), « Picasso érotique » (2001)… Cette décision entraîne la fusion du Centre national de la photographie (CNP), logé dans l’hôtel de Rothschild, et de l’association Patrimoine photographique dont le lieu d’exposition de l’hôtel de Sully, dans le Marais, va intégrer dans un premier temps la nouvelle entité dénommée « Jeu de paume ». Régis Durand, à la tête du CNP, en devient le directeur sur fond de contestations et de grèves. Le 25 juin 2004, les expositions inaugurales « Guy Bourdin » et « Éblouissements » s’organiseront sous haute tension. La fusion des trois sites induit le départ d’une partie du personnel. Inquiet de la tournure que prennent les événements, le nouveau ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, va nommer Alain Dominique Perrin à la présidence de l’établissement, afin d’épauler le directeur dans cette tâche.

Une ligne cohérente par-delà les directions successives

De cette naissance polémique, douloureuse, le Jeu de paume ne porte plus les traces. Les 28 et 29 septembre, le centre d’art célèbre ses 20 ans avec des expositions, performances, ateliers, rencontres et projections en accès libre. Il a trouvé sa place dans la cartographie des institutions parisiennes comme l’unique lieu ouvert aux différentes formes de l’image technique, de la photographie à la vidéo et au cinéma, du XIXe siècle à nos jours. Si le Jeu de paume a conservé son statut d’association et connu entre-temps la fermeture de l’hôtel de Sully, il est un établissement de référence pour les professionnels et amateurs de photographie. « C’est un jalon », souligne Audrey Hoareau, directrice du Centre régional de la photographie à Douchy-les-Mines (Nord). Il l’est beaucoup moins pour certains acteurs de l’art contemporain, qui le circonscrivent au strict champ de la photographie.

Régis Durand (2004-2006), Marta Gili (2006-2018) et Quentin Bajac se sont succédé à sa direction sans créer de rupture dans la programmation ; celle-ci alterne relecture de photographes historiques célèbres ou oubliés, monographie sur un contemporain et focus sur la jeune création. Chaque directeur et directrice a apporté sa sensibilité propre. Régis Durand a poursuivi au Jeu de paume une programmation incluant des artistes contemporains tels que Cindy Sherman, Jean-Luc Moulène ou Craigie Horsfield. Une dynamique que ces successeurs ont prolongée, à l’écoute des mutations du monde de l’image et, pour Marta Gili, avec la volonté de donner une visibilité aux femmes, notamment de la scène française, à une époque où elles étaient encore trop peu montrées. Avec 45 % des expositions consacrées à leurs travaux, cette dernière a fait du Jeu du paume l’institution publique la plus en pointe en France sur la parité tout en programmant des blockbusters américains, dont certains lui ont offert ses plus hauts niveaux de fréquentation : Diane Arbus (2011-2012, 212 271 visiteurs), Richard Avedon (2008, 166 621 visiteurs) et Garry Winogrand (2014-2015, 154 147 visiteurs).

Quentin Bajac a repris le flambeau en novembre 2018, non sans succès depuis auprès du public : cette année, quatre femmes sont à l’affiche : Tina Modotti et Bertille Bak au premier semestre (91 599 visiteurs) ; Chantal Akerman et Tina Barney au second semestre. La monographie domine largement. Les expositions thématiques ont de tout temps été rares – la prochaine à venir, intitulée « Le monde selon l’IA », est programmée en 2025. La création en 2022 d’un festival (« Fata Morgana »), et sa deuxième édition prévue l’an prochain est une autre forme donnée au soutien à la création très contemporaine.

Une scène française trop peu présente

La visibilité donnée à la scène française, pourtant une des principales missions du Jeu de paume, demeure néanmoins encore très faible. Sur le site de la Concorde, si l’on inclut les historiques tels Éli Lotar ou Frank Horvat, on ne dénombre qu’une petite vingtaine d’expositions personnelles de photographes français depuis 2004. La création en 2010 d’une antenne du Jeu de paume au château de Tours (Indre-et-Loire), et d’une autre à Reims (Marne) pendant trois ans (2022-2024), permet de rééquilibrer leur proportion.

Des collaborations ont par ailleurs été nouées tout récemment autour d’expositions communes, avec le Bal (Paris) pour l’Arte povera (« Renverser ses yeux », 2022-2023) ou le Centre photographique d’Île-de-France à Pontault-Combault (Seine-et-Marne) pour Victor Burgin (2023-2024). Quentin Bajac « souhaiterait en avoir avec l’Orangerie, le Musée des arts décoratifs et le Louvre. Car à tous les quatre, dit-il, nous couvrons pratiquement toute l’histoire de l’art avec des médiums très différents ». Une manière aussi pour le Jeu de paume d’élargir sa fréquentation très parisienne et francilienne (de 85 % à 90 % selon les années), le visiteur type étant une femme, diplômée (bac + 4) de l’Est parisien, âgée de 35 à 45 ans.

Côté budget (près de 8 millions d’euros contre un montant moitié moindre en 2004), son financement se répartit désormais entre 60 % de subventions publiques et 40 % de recettes propres avec une hausse du mécénat de 23 % de 2007 à 2024.

Les 20 ans du Jeu de paume, week-end festif les 28 et 29 septembre,
1, place de la Concorde, 75008 Paris, accès libre et gratuit.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°639 du 20 septembre 2024, avec le titre suivant : Vingt ans après sa création, le Jeu de paume est bien installé

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