VILLEURBANNE
Le quartier des Gratte-ciel, ensemble architectural d’habitat social construit dans les années 1930 en centre-ville, sera prolongé par une nouvelle zone mixte, afin de répondre à l’augmentation de la population.
Villeurbanne. Première ville désignée « Capitale française de la culture 2022 », Villeurbanne a intégré à son programme événementiel un patrimoine unique en son genre, mais encore méconnu du grand public : le quartier des Gratte-ciel. La municipalité valorise ce grand ensemble inauguré en 1934 à travers des balades urbaines organisées par le Rize (lieu consacré au patrimoine lié à la mémoire ouvrière et l’immigration) qui ont, cette année, rencontré un franc succès auprès du public local. Symbole de la ville, et de son identité, cet héritage architectural et social forme aussi la colonne vertébrale d’un grand projet d’aménagement, commencé il y a dix ans.
C’est le développement démographique de la ville qui avait entraîné le programme d’aménagement urbain des années 1930 et c’est lui aussi qui justifie les travaux d’extension prévus à partir de 2023. Zone agricole voisine de Lyon, Villeurbanne a attiré au milieu du XIXe siècle une activité industrielle profitant de la présence du chemin de fer et d’une usine hydroélectrique. Alors rattachée au département de l’Isère, la ville industrielle, constituée de trois hameaux et de bidonvilles, a très tôt cultivé une identité sociale la différenciant de Lyon. La croissance exponentielle de la population, qui a quadruplé en quarante ans (de 20 000 habitants à la fin du XIXe siècle, à 80 000 en 1930), a poussé le maire d’alors, Lazare Goujon, à imaginer un projet urbain, pour structurer les trois quartiers historiques et l’occupation industrielle du territoire désorganisée.
Un terrain encore rural au milieu de la commune a été choisi pour devenir le centre de Villeurbanne : Lazare Goujon y a édifié tout d’abord le Palais du travail, devenu aujourd’hui le Théâtre national populaire (TNP), un « temple laïque » qui réunit activités culturelles, syndicales, sportives (avec piscine couverte) et une salle des fêtes. Lancé en 1927, le chantier de cet équipement public central a rapidement entraîné un projet plus ambitieux de véritable centre-ville : un nouvel hôtel de ville a été construit en face du Palais du travail, dessiné dans un style néoclassique par Robert Giroud (le premier prix de Rome), puis un nouveau quartier de logements et de commerces. Ce sont les fameux gratte-ciel de l’architecte autodidacte Môrice Leroux, également maître d’œuvre du Palais du travail.
Inauguré en 1934, offrant 1 500 logements équipés du confort moderne, dans un paysage urbain évoquant les buildings nord-américains, le nouveau centre a suscité l’intérêt jusqu’aux États-Unis. Ses structures en acier, remplies de briques, ont permis de livrer en quatre ans de travaux un quartier d’habitat neuf et d’atteindre des hauteurs jamais vues pour des immeubles d’habitation : 60 mètres pour les deux tours à l’entrée de la rue Henri-Barbusse.
Il est temps pour la municipalité de 2022 de remettre l’ouvrage sur le métier, car depuis l’édification des tours, la population de la ville a doublé : intégrée à la métropole de Lyon, Villeurbanne est la vingtième ville de France, avec plus de 150 000 habitants. Il lui faut de nouveau un centre à sa mesure. Lancée dès le début des années 2010 par la précédente mandature (PS), l’extension du centre-ville passera en phase opérationnelle dès 2023, avec l’aménagement d’une Zone d’activité concertée (ZAC) dans la continuité de l’axe formé par le TNP, la mairie et le quartier des Gratte-ciel.
Dans les esquisses livrées par l’agence Nicolas Michelin Architecte, qui dirige le projet d’aménagement, on retrouve les éléments qui font l’originalité de l’architecture hygiéniste des tours : redents, gradins, tours Signal qui animent le paysage urbain. « Il ne faut surtout pas pasticher, explique Agnès Thouvenot, adjointe à l’urbanisme de la ville, mais, de fait, ça va se ressembler. On aura la même qualité architecturale. » Le quartier bénéficie d’une zone de protection du patrimoine architectural et urbain (ZPPAU) obtenue dès 1991, actualisée en AVAP (aire de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine) en 2010, pour tenir compte du projet d’extension du centre-ville. Les principes de continuité avec les gratte-ciel et de mise en valeur de ce patrimoine par les nouvelles constructions sont donc inscrits depuis dix ans dans les servitudes patrimoniales de la ville. Pour Agnès Thouvenot, « les prescriptions de l’AVAP nous aident. Il y a un dialogue très nourri avec l’architecte des Bâtiments de France (ABF), nous cherchons les solutions ensemble. » Les remarques de l’ABF enclenchant un travail collectif ont permis d’obtenir un résultat satisfaisant sur le plan patrimonial. « Ça a été le cas pour le mobilier urbain, et on va procéder de la même manière pour l’aménagement du parc au bout de la ZAC, qui fait partie de l’AVAP et qui comporte une œuvre d’art urbain, la grande cheminée de Felice Varani », détaille l’adjointe à l’urbanisme.
Pour elle, la prise en compte du patrimoine dépasse la simple question de l’architecture. La Ville a la main sur le foncier commercial afin de reproduire la mixité d’usage (logements, commerces, service public) qui fait encore aujourd’hui le succès des Gratte-ciel. Surtout, le nouveau quartier garde le principe d’adressage donnant directement sur la rue, contrairement à « cette architecture de ZAC, où on ne sait plus par où entrer ». L’idéal social de Lazare Goujon est en partie préservé, avec 30 % de logements sociaux parmi les 800 nouveaux logements du programme. Dans les immeubles des Gratte-ciel, l’intégralité des appartements fait encore partie du parc public, ainsi que l’avait souhaité le maire socialiste.
Mais attention au risque de décrochage entre le nouveau quartier et l’ancien, dont les logements sont plus petits et moins qualitatifs, qui pourrait mettre en danger cette « utopie réalisée ». Un enjeu identifié par la municipalité, tout comme celui de mieux faire connaître ce patrimoine unique : « La notoriété des Gratte-ciel reste confidentielle, admet Stéphane Riou, adjoint à la culture, cet ensemble attire surtout un public amateur d’architecture et d’urbanisme. Il faut mieux faire connaître cette audace architecturale. »
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Villeurbanne agrandit son centre-ville
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°596 du 7 octobre 2022, avec le titre suivant : Villeurbanne agrandit son centre-ville