La nouvelle loi patrimoine, en cours de discussion interministérielle, pourrait combler des lacunes en matière de protection des immeubles par destination et ensembles mobiliers.
PARIS - En 1995 éclatait « l’affaire des châteaux japonais » (lire le JdA 144, 8 mars 2002). Deux ans plus tôt, la société Nippon Sangyoo Kabushiki Kaisha commençait à vider de leur contenu huit châteaux français acquis en 1984. Meubles, statuaire, boiseries – souvent protégés au titre des monuments historiques – ont été vendus en toute légalité. Dans le Code du patrimoine, rien ne s’oppose en effet à ce que des objets mobiliers et des immeubles par destination privés puissent être déplacés, dispersés, aliénés par leur propriétaire. Pour combler cet « angle mort de la loi », selon Marie Cornu, qui co-anime le centre de recherche « Droit du patrimoine culturel » du Centre d’études sur la coopération juridique internationale, des propositions de loi et d’amendements se sont succédé entre 1996 et 2011. Émanant du député Pierre Lequiller ou de la sénatrice Françoise Férat, ces propositions, qui avaient vocation à attacher des œuvres à perpétuelle demeure, n’ont pas abouti. Elles ont été reprises dans l’avant-projet de loi relative au patrimoine culturel d’Aurélie Filippetti, actuellement dans le circuit interministériel et qui devrait être présenté au Parlement au second semestre 2014. Si elles sont votées, ces mesures pourront favoriser le maintien d’œuvres et décors dans leurs murs après un siècle d’incohérence et de vide juridique.
Le cas des immeubles par destination, la lacune de la loi de 1913
Depuis la loi fondatrice de 1913, le Code du patrimoine fait suivre aux immeubles par destination le sort des objets mobiliers. Statues scellées, papiers peints, boiseries, vitraux, carrelages…, les immeubles par destination – biens meubles ou éléments de décor attachés durablement et de façon fixe à un bâtiment – sont pourtant le prolongement de l’immeuble par nature auquel ils sont fixés. Dès 1921, Paul Léon, directeur général des Beaux-Arts, considère comme « une lacune de la loi le fait qu’un propriétaire [ait] le droit, dans un immeuble classé, de dépecer l’intérieur » (1). Au fil des décennies, la jurisprudence s’est souvent rangée à cet avis et a régulièrement condamné, au cas par cas, des détachements de décors par les propriétaires d’un bâtiment protégé, se référant au code civil en vertu duquel l’immeuble par destination doit être traité en immeuble par nature et non en objet mobilier. Ainsi, le propriétaire du château du Boscq, bâtisse bretonne du XVIIIe siècle, a été sommé en 2012 par la justice de remettre en place quatre bustes, qu’il avait descellés de la terrasse de l’édifice. Ces statues ont été considérées par le tribunal comme « formant un ensemble architectural indissociable du château », et nécessitant le regard de l’administration sur tous travaux de la même façon que l’édifice inscrit au titre des monuments historiques.
Le projet de loi de 2014 prévoit aujourd’hui que les immeubles par destination attachés à perpétuelle demeure à un édifice classé ou inscrit ne peuvent être détachés sans autorisation du ministère de la Culture. « L’incertitude ne demeurera plus sur l’appréciation de la nature du bien et les contentieux seront évités », explique Frantz Schoenstein, chef du bureau de la protection des monuments historiques à la direction générale des Patrimoines. « On retrouve une cohérence législative entre le code civil et le Code du patrimoine ».
Ensembles historiques mobiliers et servitude de maintien « in situ »
La loi ne permet à ce jour que la protection individuelle des objets mobiliers. L’intérêt patrimonial d’une série de portraits de famille, d’une collection hospitalière, des meubles d’un écrivain ou des équipements d’une usine repose cependant parfois davantage sur leur conservation en tant qu’ensemble que sur l’intérêt de chaque objet. L’avant-projet de loi 2014 prévoit ainsi également la protection d’ensembles historiques mobiliers et la mise en place d’une servitude de maintien in situ.
Cette servitude resterait cependant exceptionnelle car elle ne doit concerner que les objets mobiliers ou ensembles mobiliers classés dans des édifices classés, et ne pourrait survenir sans l’accord du propriétaire afin de limiter l’atteinte au droit au respect de la propriété privée. Cette servitude serait transférée aux acquéreurs ou héritiers des biens, qui seraient ainsi contraints de respecter la volonté du précédent propriétaire de maintenir ses collections dans leur intégrité et dans leur cadre. La levée de cette servitude, subordonnée à la décision du ministère de la Culture, resterait possible, mais « très rare », selon Frantz Schoenstein. Sitôt la loi votée, la collection d’objets personnels qu’abrite l’appartement de Gabrielle Chanel, à Paris – dont 111 objets ont fait l’objet d’une inscription en 2013 – devrait être classée au titre d’ensemble et assignée à résidence perpétuelle, selon le souhait de son propriétaire, la Maison Chanel. Ce qui ne l’empêchera pas de rester fermée au public. Mais c’est une autre histoire.
1913, Genèse d’une loi sur les Monuments historiques ouvrage coordonné par Jean-Pierre Bady, Marie Cornu, Jérome Fromageau, Jean-Michel Leniaud, Vincent Négri, La Documentation française
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Une meilleure protection des mobiliers « in situ »
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Salon de l'appartement de Gabrielle Chanel, Paris. © Archives Chanel.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°411 du 11 avril 2014, avec le titre suivant : Une meilleure protection des mobiliers « in situ »