MADRID / ESPAGNE
Après restauration et analyses scientifiques, la copie de la Joconde conservée au Musée du Prado, à Madrid, s’est révélée contemporaine à l’originale. Si la peinture ne possède rien du génie de Léonard, elle est essentielle à la compréhension du fonctionnement de son atelier. Un de ses jeunes disciples, clairement identifié, en serait l’auteur.
PARIS - Le colloque organisé à Londres les 13 et 14 janvier dans le cadre de l’exposition « Léonard de Vinci », à la National Gallery de Londres (lire le JdA no 357, 18 novembre 2011, p. 9), était très attendu des spécialistes. L’événement, qui a permis de faire le point sur l’état de la recherche menée autour de l’artiste, a été marqué par la « redécouverte » d’une copie de la Joconde appartenant au Musée du Prado, à Madrid ; information relayée à grand bruit dans la presse. En réalité, l’œuvre était connue depuis longtemps. À la demande du Musée du Louvre, dans le cadre de l’exposition que l’établissement parisien prépare, pour le printemps, sur la Sainte Anne (peint à la même période que la Joconde), le Prado a fait restaurer la copie. Celle-ci était considérée jusqu’à présent comme postérieure au portrait de Mona Lisa, la majorité des spécialistes la datant du XVIIe siècle. La restauration a consisté, notamment, à supprimer le fond noir qui avait été rajouté au XVIIIe siècle et cachait le paysage de montagnes aujourd’hui réapparu, comparable à celui de la Joconde. Révélant le dessin préparatoire, les analyses scientifiques réalisées pour l’occasion ont montré que la copie avait été exécutée en même temps que l’original, dans l’atelier de Léonard. Le dessin et les couches sous-jacents portent en effet la marque de modifications progressives semblables à celles de la Joconde – la célébrissime peinture est connue dans ses moindres détails depuis 2004, date à laquelle le laboratoire du Centre de recherche et de restauration des musées de France l’a passée au crible.
Un modelé peu élaboré
Il ne fait désormais aucun doute que l’un des disciples de Léonard copiait la Joconde au cours de son élaboration. Cette découverte se révèle passionnante pour comprendre le fonctionnement de l’atelier de Vinci, un sujet que Vincent Delieuvin, conservateur au département des Peintures du Louvre, va développer dans l’exposition sur la Sainte Anne. Témoignage historique de premier plan, la copie ne relève cependant en rien du génie de Léonard. Si le maître a pu être présent lors de son élaboration et prodiguer des conseils, les spécialistes sont unanimes pour nier qu’il y ait apposé son pinceau. Il ne s’agit pas non plus d’un modèle pouvant servir de référence pour retrouver les possibles couleurs originelles de la Joconde. La vraie question qui demeure concerne son auteur : à quel disciple de Léonard attribuer la copie ? S’agit-il de Francesco Melzi (v.1491/93-v.1570), légataire de l’artiste – hypothèse privilégiée par le Musée du Prado –, ou de Gian Giacomo Caprotti, dit « Salai » (1480-1524), également très proche du peintre ? D’après l’historien de l’art et chercheur Jacques Franck, attaché au Centre Armand-Hammer d’études vinciennes à l’université de Californie, à Los Angeles, le doute n’est pas permis : il ne peut s’agir que de Salai. Le chercheur s’appuie principalement sur la concordance des dates, Melzi n’ayant pas fréquenté l’atelier de Léonard avant 1506. « La copie n’aurait pu être réalisée si tardivement. Et cela d’autant moins que la Joconde, habituellement datée de 1503, a probablement été commencée à la fin de l’année 1500, quelques mois après le retour de Léonard à Florence. En effet, l’original est signalé en cours d’exécution par une mention manuscrite, datant de 1503, relevée récemment dans un incunable des lettres de Cicéron conservé à Heidelberg. En outre, lorsque Raphaël découvre la Joconde, fin 1504 ou début 1505, elle se trouve à un stade très avancé, comme en témoigne le Portrait de Maddalena Doni, très influencé par la Joconde, qu’il a mis en œuvre peu après. »
Il invoque également la mention d’un portrait d’une Joconda dans l’inventaire après décès de Salai en 1525. En outre, toujours selon Jacques Franck, la copie est proche stylistiquement du Salvator Mundi signé de Salai et daté de 1511. Celle-ci évoque en effet le traitement des cheveux qui peut être observé dans le même Salvator Mundi, ainsi que le paysage de la Vierge aux fuseaux de la collection Redford, que Jacques Franck propose d’attribuer également à Salai. « On avait ignoré à quel point Salai est un Léonardesque dont la stature est appréciable, observe-t-il. Sa copie est d’un joli métier, quoi qu’il n’ait pas compris la technique de Léonard et se contente d’effets de modelé très peu élaborés. Salai n’a pas retrouvé non plus la facture géniale du paysage de la Joconde. » La copie du Prado n’en demeure pas moins un élément très important pour comprendre l’atelier de Léonard où, suppute encore Jacques Franck, Raphaël aurait pu lui aussi faire un passage, aussi bref soit-il…
Voir la fiche de l'exposition L'ultime chef-d'oeuvre de Léonard de Vinci, la Sainte Anne
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Une Joconde-« bis », le génie en moins
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°363 du 17 février 2012, avec le titre suivant : Une Joconde-« bis », le génie en moins