Le Kunawong House Museum expose la collection d’art, intégrée à sa propre résidence, de l’entrepreneur thaïlandais Sermkhun Kunawong.
Bangkok (Thaïlande). Le Kunawong House Museum est situé dans le district de Lat Phrao, un quartier résidentiel au nord-est de Bangkok qui, jusqu’à récemment, était relativement isolé des quartiers culturels de la capitale. Le musée présente environ 1 000 œuvres, issues d’une collection constituée au cours des trente dernières années, sur un espace total de 5 000 m². Composé de deux bâtiments principaux et d’un jardin, il est consacré à l’art thaïlandais des XXe et XXIe siècles, en dialogue avec quelques antiquités, principalement des représentations du Bouddha provenant des périodes Dvaravati, Sukhothai et Ayutthaya. Quelques pièces de mobilier européen complètent l’ensemble.
On y observe un contraste singulier entre des artistes nationaux « classiques » comme Khien Yimsiri (1922-1971) et Chakrabhand Posayakrit (né en 1943) et des artistes engagés et iconoclastes tels que Vasan Sitthiket (1957) et Michael Shaowanasai (1964). Ce contraste se manifeste également dans l’accrochage, avec une juxtaposition audacieuse entre des portraits de monarques thaïlandais et de Mao Zedong, par exemple. Sont par ailleurs présents quelques artistes non thaïlandais, comme la Française Myrtille Tibayrenc (1980), installée en Thaïlande depuis 2006.
Conçue par le propriétaire des lieux lui-même, Sermkhun Kunawong, et son frère architecte Chalay Kunawong, l’architecture du bâtiment résidentiel rappelle étonnamment les volumes clairs et l’étagement de la maison La Roche de Le Corbusier et Jeanneret, dans une version curviligne. La scénographie et la décoration intérieure n’ont cependant rien de minimaliste. Comme pour le musée de Sir John Soane (1753-1837) à Londres, une référence mentionnée par Kunawong, les murs et les espaces sont saturés d’œuvres, avec une prédominance de la peinture et de la sculpture.
Le jardin expose un grand nombre de sculptures en plein air, dont la plupart étaient présentées au Bangkok Sculpture Center, que Kunawong avait cofondé en 2000 et qui a fermé en 2022. L’aménagement soigné des espaces verts, rappelant le goût des Thaïlandais pour l’art topiaire, est un clin d’œil possible au nom du quartier, « Phrao », et aux cocotiers qui peuplaient jadis ce village, désormais urbanisé et intégré à Bangkok. Trois bouddhas assis, issus de périodes différentes, sont abrités sous le Serenity Hall, une sorte de petite chapelle reprenant le jeu de contrastes entre l’ancien et le contemporain développé dans l’ensemble du musée.
Le Cubic Building, le plus vaste des deux bâtiments, reprend le style de la résidence avec un extérieur blanc, sobre et géométrique et des espaces intérieurs ampoulés, parfois extravagants. L’imposante Grand Garuda Room [voir ill.] expose ainsi des œuvres de Thawan Duchanee (1939-2014), artiste majeur de l’art moderne en Thaïlande, avec un Garuda monumental dominant l’espace. À l’étage supérieur, un autre grand nom, Montien Boonma (1953-2000), propose une approche plus conceptuelle et avant-gardiste. Le dernier étage se concentre sur des représentants contemporains d’une vaine néo-pop thaïlandaise, comme Yuree Kensaku (née en 1979) et Gongkan (1989), alias Kantapon Metheekul, qui a connu un succès commercial récent, notamment après avoir intégré la collection de Tim Cook, le directeur général d’Apple. Le bâtiment inclut également l’atelier de Sermkhun Kunawong, qui pratique la photographie et la gravure sur bois.
Autofinancé, le musée sert indéniablement de vitrine aux autres activités du collectionneur. Sermkhun Kunawong est propriétaire de la holding Art Tank Group, qui comprend la maison de ventes Bangkok Art Auction, un atelier de conservation-restauration ainsi qu’une entreprise de transport d’œuvres d’art et d’événementiel dans le domaine culturel. M. Kunawong siège dans plusieurs comités gouvernementaux liés à l’art et la culture, faisant de lui un acteur incontournable du monde de l’art en Thaïlande, un pays qui n’offre pour le moment pas de véritables incitations fiscales pour l’investissement dans l’art.
Ouvert au public le week-end depuis mai 2024 et en semaine sur demande, le Kunawong House Museum propose un billet d’entrée de base à 12 euros (450 bahts), un prix relativement élevé, y compris par rapport aux autres institutions privées comme le Jim Thompson House Museum (200 bahts) et le MoCA Bangkok (280 bahts). Ces trois musées ont néanmoins en commun d’avoir chacun des espaces de restauration. La visite « exclusive », à 32 euros (1200 bahts), comprend une dégustation de desserts traditionnels, en plus de la visite guidée en anglais de l’ensemble des espaces.
Avec ses 1 526 musées, selon le décompte de l’Unesco dans son rapport d’avril 2021, la Thaïlande compte un grand nombre de musées, supérieur à celui cumulé des dix autres pays d’Asie du Sud-Est, mais peu d’entre eux sont consacrés à l’art moderne et contemporain.
Le Kunawong House Museum complète ainsi l’écosystème bangkokien tout en illustrant le goût thaïlandais très ancré pour l’éclectisme et l’interculturalité, une mouvance parfois nommée « thaï-baroque ». Ce baroquisme, qui s’inspire de l’esprit des cabinets de curiosités dans une version actualisée et idiosyncratique, n’est finalement pas si éloigné de la définition de Philippe Beaussant du baroque comme « un monde où tous les contraires seraient harmonieusement possibles ».
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Un nouveau musée privé à Bangkok
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°641 du 18 octobre 2024, avec le titre suivant : Un nouveau musée privé à Bangkok