C’est une entreprise éditoriale un peu démesurée qu’a lancée depuis cinq ans une association girondine : publier en vingt volumes les 3 000 dessins et les 1 500 gravures de Léo Drouyn (1816-1896),
qui constituent un témoignage essentiel sur le patrimoine aquitain au XIXe siècle. « Artiste-archéologue », Drouyn a en outre pris position dans son travail et ses écrits contre le parti « restaurateur », incarné par Viollet-le-Duc et ses disciples.
Paysagiste, archéologue, historien, écrivain, Léo Drouyn (1816-1896) s’était taillé en son temps une réputation pour ses talents de graveur. Formé dans divers ateliers parisiens, il publie ses premières estampes en 1842 dans La Guyenne historique d’Alexandre Ducourneau. Tout son travail ultérieur s’inscrira justement dans le territoire aquitain, et plus particulièrement en Gironde. Après diverses gravures “pittoresques” pour des revues comme L’Artiste ou L’Illustration, il donne des études des monuments religieux et militaires du Bordelais à des publications savantes tels le Bulletin monumental ou la Revue de l’art chrétien. Mais son grand œuvre, qui lui offre une certaine renommée, reste La Guyenne militaire, trois volumes de notices monumentales illustrées de gravures sur bois et de 151 planches à l’eau-forte, représentant les châteaux de l’époque anglaise en Guyenne.
Inlassablement, il parcourt sa région en quête des témoignages du passé, et près de 3 000 dessins, réalisés tout au long de sa vie, et recueillis dans une vingtaine de carnets, attestent ainsi de son activité. Retrouvés récemment, ces carnets font l’objet depuis 1997 d’une publication exhaustive à raison de deux volumes par an. C’est l’association des éditions de l’Entre-deux-Mers, sous la direction de Bernard Larrieu et Jean-François Duclot, qui a lancé cette entreprise ambitieuse, soutenue par le conseil général de Gironde. Une fondation d’entreprises régionales apporte également son concours depuis l’an dernier.
Transmis après la mort de Drouyn à son fils Léon, par ailleurs architecte en chef des Monuments historiques, cinq de ces carnets étaient aux mains des descendants, tandis que treize autres étaient conservés dans une même famille depuis plusieurs générations. Quelques-uns étaient par ailleurs entrés dans des collections publiques.
Pour la publication, qui a bénéficié de la contribution d’historiens et d’architectes, les quinze premiers volumes obéissent à un découpage par zones géographiques (le bassin d’Arcachon et la Grande Lande, Saint-Émilion, le Libournais...) ; les cinq derniers seront plus thématiques. Chaque volume, tiré à 1 200 exemplaires, obéit à un même modèle : les dessins, reproduisant aussi bien des vues d’ensemble des monuments que des détails architecturaux (portails, chapiteaux...), sont confrontés aux gravures qui ont pu en être tirées, et les notices s’enrichissent parfois des notes manuscrites de Léo Drouyn sur l’édifice concerné.
La figure de ce dernier est intéressante à plus d’un titre, et tout particulièrement pour son implication dans les débats patrimoniaux qui agitent la seconde moitié du XIXe siècle. Après avoir travaillé comme dessinateur pour la commission des Monuments historiques, Léo Drouyn la quitte en 1849 pour marquer son opposition au parti “restaurateur”, incarné par Viollet-le-Duc et ses disciples. Membre de la Société française d’archéologie fondée par Arcisse de Caumont, il entend défendre l’intégrité des monuments tels qu’ils nous sont parvenus. “Lorsqu’on copie un vieux manuscrit, on laisse en blanc les mots qu’on ne peut pas lire, et jamais on ne surcharge les places vides”, écrivait-il. Tout son œuvre dessiné et gravé a une dimension encyclopédique, jusque dans l’idée d’un inventaire avant disparition. Ses dessins valent aussi pour leur description scrupuleuse des édifices et de leur environnement ; dans les gravures, s’il reste fidèle à la réalité architecturale, il enjolive en revanche volontiers le paysage, conférant à son ouvrage une touche romantique, qui évoque les Voyages pittoresques de Taylor et Nodier. “Je n’ai jamais aperçu un vieux monument, même lorsque je m’attendais à le rencontrer, sans éprouver une sensation indéfinissable de bien-être mêlé de tristesse et de mélancolie”, écrivait Drouyn en 1859, manifestant ainsi la persistance du sentiment romantique. Son travail montre également que la photographie, alors en plein essor, n’a pas remplacé ce mode intime de perception du monument, ou du paysage, qu’est le dessin.
Jusqu’au 15 octobre, deux expositions sont organisées dans la région aquitaine autour de l’œuvre de Léo Drouyn, au château de Cadillac (place de la Libération, 33410 Cadillac, tél. 05 56 62 69 58) et à l’abbaye de la Sauve-Majeure (33670 La Sauve, tél. 05 56 23 01 55). Un catalogue (éd. de l’Entre-deux-Mers, 13 euros) est édité à cette occasion.
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Un monument de papier pour l’Aquitaine
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Abonnez-vous dès 1 €- Sous la direction de Bernard Larrieu et Jean-François Duclot, Léo Drouyn, les albums de dessins, Les éditions de l’Entre-deux-Mers-CLEM/AHB, 9 volumes parus. Où se les procurer : Association Les éditions de l’Entre-deux-Mers, 11, rue de l’Avenir, 33200 Bordeaux, tél. 05 56 08 22 28, fax 05 56 08 72 30. Diffusion nationale : Soleil diffusion, 23, rue de Fleurus, 75006 Paris, tél. 01 45 48 84 62.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°154 du 13 septembre 2002, avec le titre suivant : Un monument de papier pour l’Aquitaine