ROUBAIX
Le dernier comptoir de négoce du XIXe siècle de la ville va être détruit au profit d’une résidence étudiante. Face à une Mairie refusant de préempter, habitants et élus locaux s’indignent.
Roubaix (Nord). Aux 22 et 24 de la rue du Château, se dresse un immeuble néoclassique construit en 1842. Cette « maison de fabricant », la dernière de la ville, est un vestige du patrimoine industriel textile local : il s’agit d’un ancien comptoir de négoce où les fournisseurs de textile du XIXe siècle venaient présenter leurs produits aux acheteurs. Aujourd’hui, la maison de confection textile Thieffry Frères, fondée en 1837, y exerce toujours ses activités.
Pourtant, le bâtiment pourrait bientôt disparaître. Le 6 décembre 2021, Vinci Immobilier obtient un permis de construire pour la parcelle. Promise à la démolition, la bâtisse doit laisser place à une résidence étudiante de 169 logements. Des élus appellent à la préemption. « Il nous a été répondu que cela coûtait de l’argent et que l’on ne pouvait pas préempter sans projet, assure Michel David, conseiller municipal siégeant dans l’opposition (PS). Pourtant, la Ville passe son temps à préempter des bâtiments en vue d’un projet qui reste à définir. » Cela a effectivement été le cas de la friche industrielle Hibon, en 2021. « Concernant d’éventuels problèmes financiers, il existe un établissement public foncier (EPF) que la Ville peut solliciter », ajoute l’élu de l’opposition.
Mais l’EPF ne peut pas prendre en charge les frais d’entretien et de rénovation. « On ne peut engager ces frais au détriment d’autres projets en cours, précise Philippe Stephan, adjoint au maire chargé de l’urbanisme, de l’immobilier et du logement. S’il y avait une chance d’aboutir à quelque chose, nous l’aurions saisie. »
Conseillère déléguée au patrimoine de la Ville, Véronique Lenglet évoque pourtant un « manque de concertation » et une gestion « arbitraire » du dossier, l’ayant poussée tout récemment à démissionner. « C’est une aberration de faire sauter ce bâtiment de très bonne qualité, et occupé », s’indigne-t-elle. La « maison de fabricant » est, de plus, située au cœur du site classé patrimonial remarquable de Roubaix, une municipalité portant le label « Ville d’art et d’histoire » depuis plus de vingt ans.
En décembre 2022, Vinci dépose un permis de construire modificatif. Philippe Stephan explique qu’un clin d’œil aux anciennes façades sera inclus dans le nouveau projet. « Ce sera une façade neuve, mais avec une évocation des arcades existantes, et la récupération des anciens tirants », détaille-t-il. Dès la publication du nouveau permis de construire, un recours en annulation sera déposé devant le tribunal administratif de Lille par le Parti socialiste, mais aussi par Urgences Patrimoine, l’association Métropole Label.le et un collectif de riverains. Il sera doublé d’un référé-suspension, afin de pouvoir annuler en urgence la démolition.
En attendant, Michel David et Véronique Lenglet, accompagnés notamment de Jean-François Boudailliez, ex-adjoint à la culture et président de l’association Métropole Label.le, et de Gilles Maury, architecte et président de la Société d’émulation de Roubaix, demandent la mise en œuvre de mesures de sauvegarde dans une pétition signée par plus de 1 500 personnes à la fin du mois de mars (Roubaix recense environ 100 000 habitants).
Le 1er avril, ces opposants au projet ont défilé dans les rues de Roubaix, pour le « Démolition Tour ». Ils sont passés devant plusieurs sites menacés de destruction. Pas de quoi faire bouger les lignes de la Mairie. « À titre personnel et en tant que Roubaisien, je regrette !, assure Philippe Stephan. Mais en tant qu’élus, nous n’avons pas les moyens de conserver le bâtiment. C’est un projet entre un propriétaire privé et un promoteur : la Ville n’a pas la main sur cela. »
« Il faut valoriser le patrimoine industriel et en tirer une fierté »
Hauts-de-France. Vestiges de la révolution industrielle et partie intégrante de l’histoire du nord de la France, les anciennes usines et friches industrielles doivent encore acquérir une reconnaissance à part entière. Dans cette région, les sites témoins du passé industriel hexagonal sont présents partout dans les villes. « Souvent, ces lieux sont démolis plutôt que réhabilités parce qu’ils ont été laissés à l’abandon, et qu’on prétend qu’il y a des fuites ou la mérule… C’est la volonté des promoteurs ! Il est plus facile de passer un coup de bulldozer et de tout reconstruire », regrette Anne de Cherisey. Selon la déléguée régionale de Sites & Monuments dans les Hauts-de-France, « le patrimoine industriel demande à être valorisé : plutôt que de l’oublier et le démolir, il faut en tirer une fierté. Il y a une certaine honte de cette histoire industrielle qui a parfois mal fini ». On assiste pourtant de plus en plus à des mises en valeur réussies. C’est le cas, par exemple, de la chaîne des terrils du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, site inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2012. Réhabiliter plutôt que détruire a aussi un sens écologique, dans une époque où la réutilisation de matériaux existants s’impose comme une évidence. Les friches industrielles ont un avantage : elles disposent de surfaces importantes, permettant d’imaginer de nombreux projets. « L’idée n’est pas de garder des vieilles pierres pour garder des vieilles pierres : il faut faire vivre les lieux, créer de la modernité en s’appuyant sur le passé », conclut la défenseuse du patrimoine.
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À Roubaix, la fin de la dernière maison « de fabricant »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°609 du 14 avril 2023, avec le titre suivant : À Roubaix, la fin de la dernière maison “de fabricant”