Bilan

Architecture

Radiographie du patrimoine hospitalier

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 23 avril 2013 - 859 mots

Intimement liée aux progrès de la médecine, l’histoire de l’hôpital en France met en lumière un patrimoine dont la conception architecturale n’a cessé d’évoluer au fil des siècles.

La réforme des hôpitaux, lancée en France en 2008, s’est traduite par la construction de nouvelles structures et la désaffectation d’anciens bâtiments, plus souvent rasés que réhabilités. Dans ce contexte, le livre qui vient de paraître aux éditions Lieux Dits sur le patrimoine hospitalier constitue un témoignage essentiel sur ces ensembles architecturaux soumis à de profonds bouleversements. Publié dans le cadre de l’Inventaire général du patrimoine culturel, cet ouvrage de synthèse, généreusement illustré, est le fruit de dix années d’un travail mené par les chercheurs Pierre-Louis Laget (lire l’entretien) et Claude Laroche, en collaboration avec d’autres spécialistes. Les auteurs y retracent l’histoire de l’hôpital en France et montrent comment son évolution architecturale est intimement liée à celle de la médecine.

Soigner par l’architecture
Reprenant les études déjà publiées sur le sujet, la première partie porte sur la période médiévale et l’Ancien Régime, époques où l’hôpital, indissociable de l’assistance publique, est assimilé à l’hospice. Le point fort de l’ouvrage réside dans les grands chapitres centraux traitant de la période dite « hygiéniste », qui voit émerger et essaimer le modèle de l’hôpital pavillonnaire, depuis l’incendie de l’hôtel-Dieu de Paris, en décembre 1772, jusqu’aux années 1930. « Le fil conducteur de l’hygiène est extraordinaire dans l’architecture hospitalière : en regardant attentivement les dispositions architecturales d’un hôpital, vous pouvez le dater à dix ans près », souligne Pierre-Louis Laget.
Pendant plus d’un siècle, jusqu’aux découvertes de Pasteur, le corps médical vit dans l’obsession de la ventilation et de l’aération des salles de malades, imaginant que les miasmes sont transmis par l’air. L’hôpital pavillonnaire répond à ces théories dites « aéristes ». « Derrière ce fantasme du miasme qui circule dans l’air se trouve aussi l’exclusion hors de la ville d’une partie de la population : le pauvre, le malade, l’indigent, le marginal », précise Claude Laroche. Après l’incendie de l’Hôtel-Dieu, un grand débat national a lieu pour savoir s’il faut reconstruire l’hôpital en centre-ville ou à l’extérieur de la capitale. Divers projets voient le jour, mais le baron Haussmann et Napoléon  III imposent une reconstruction quasiment sur place, dans l’île de la Cité, au grand dam des hygiénistes qui vont se battre pour défendre leur conception architecturale. Celle-ci s’inspire d’un édifice anglais, l’hôpital de Plymouth ; par son organisation spatiale, l’hôpital est qualifié de « pavillonnaire ». Doté d’une grande cour centrale, avec une chapelle en point fort de la composition, il se divise en plusieurs bâtiments, les malades étant répartis dans ces pavillons perpendiculaires organisés selon un plan en « double peigne ». « Depuis la fin du XVIIIe, l’idée que l’on peut soigner par l’architecture est très forte », explique Claude Laroche. L’implantation des bâtiments, la forme des salles, des fenêtres et leur répartition ont une importance capitale et font l’objet d’importants débats. Le médecin joue un rôle central dans la conception du programme architectural. Confronté aux instances médicales, l’architecte parvient toutefois à infléchir le programme théorique afin de rendre le bâtiment plus pérenne, plus rationnel. Mais, fait assez rare en architecture, ni le maître d’œuvre ni le maître d’ouvrage ne sont les décideurs ultimes ; c’est le médecin qui a le dernier mot.

Une humanisation récente
Même avec les découvertes de Pasteur, qui démontre que les miasmes sont transmis par le contact physique, on continue à construire jusqu’au début du XXe siècle des hôpitaux selon le dogme de l’aérisme. Pour l’hôpital Grange-Blanche à Lyon (actuel hôpital Édouard-Herriot), lancé en 1913 et inauguré vingt ans plus tard, Tony Garnier conçoit un édifice extrêmement étendu, sur le modèle d’une cité-jardin. À partir des années 1930, une architecture dite « semi-pavillonnaire » voit le jour ; les hôpitaux se dotent de plusieurs étages. Le vrai changement a lieu avec l’hôpital Beaujon, inauguré en 1935 à Clichy (Hauts-de-Seine). Signé Jean Walter, doté de douze étages, il rompt avec la disposition traditionnelle de l’hôpital pavillonnaire au profit d’une organisation fonctionnelle en hauteur. Depuis, tous les hôpitaux, mis à part en psychiatrie, ont basculé dans la grande hauteur. Parfois, les architectes ont été plus loin et imaginé une triple distribution : deux couloirs et des salles au centre pour les soins, le matériel, les bureaux des médecins et infirmiers (disposition abandonnée car trop difficile pour les soignants). L’après-guerre tente de rationaliser un peu plus l’hôpital en imaginant des modèles-types aux fortunes diverses, selon des plans en X, en Y, en H…
Déjà en vogue à la fin des années 1950, la notion d’humanisation de l’hôpital, qui accorde une place centrale au malade au sein de la structure, revient en force dans les années 1980 dans son acception plus globale. On renonce à la grande hauteur et aux hôpitaux bloc pour privilégier des édifices à plus petite échelle, conçus comme des lieux de vie. Depuis les années 1990, l’hôpital doit répondre aux exigences de la politique de rationalisation et de regroupement des établissements. Seule une vision globale, sur le long terme, permettra de répondre de manière satisfaisante aux enjeux actuels de la médicalisation, sans négliger le volet patrimonial.

Pierre-Louis Laget et Claude Laroche, L’Hôpital en France. Histoire et architecture

Ed. Lieux Dits, Lyon, coll. « Cahiers du patrimoine » no 99 – Inventaire général du patrimoine culturel, 2012, 592 p., 44 €

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°390 du 26 avril 2013, avec le titre suivant : Radiographie du patrimoine hospitalier

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