Après dix ans de travaux, la Pinacothèque d’art moderne de Munich a enfin ouvert ses portes au public. Installées dans une élégante construction en pierre blanche et en verre, les collections sont réparties en quatre sections : peinture et sculpture, arts graphiques, architecture et design. Avec ses deux autres pinacothèques et trois grandes collections, Munich retrouve son statut de foyer artistique qu’elle avait perdu après la Seconde Guerre mondiale.
MUNICH - Ce n’est sans doute pas un hasard si, après avoir nécessité plus d’une décennie pour sa construction, la nouvelle Pinacothèque d’art moderne a finalement ouvert ses portes le 16 septembre, six jours exactement avant les élections en Allemagne. Le Premier ministre bavarois, Edmund Stoiber, a interrompu sa campagne nationale pour la chancellerie afin de retourner à Munich couper le ruban. La Bavière ayant assuré la plus grande partie du financement, certains ont accusé le leader démocrate chrétien conservateur d’utiliser ce musée comme une tribune supplémentaire. En tout cas, cela prouve que l’art est maintenant considéré comme un atout électoral – même si, en dernier lieu, Stoiber a été battu par Gerhard Schröder.
En dehors de toute considération politique, la Pinacothèque d’art moderne est un triomphe. Créé par l’architecte munichois Stephan Braunfels – davantage spécialisé dans les immeubles de bureaux que dans l’architecture muséale –, le musée est aujourd’hui le plus grand d’Allemagne. Il abrite également l’une des plus grandes collections d’art moderne au monde – comparable à celles de la Tate Modern de Londres ou du Centre Pompidou, à Paris. De l’extérieur, la pinacothèque est une élégante construction en pierre blanche et en verre, dont la silhouette massive, grâce à son emplacement en retrait de la rue, n’écrase pas son environnement. À l’intérieur, le bâtiment s’articule à partir d’une énorme rotonde ouverte au public, qui sert de passage entre la vieille ville de Munich et la proche banlieue de Schwabing. La caractéristique la plus attrayante du musée reste son éclairage naturel, notamment autour de la rotonde située sous un toit en verre que soutiennent une douzaine de piliers. Toutes les surfaces peintes du bâtiment sont blanches, mais la lumière rentrant à flot par le toit et les côtés donne aux murs et aux piliers une variété de tons, allant d’un blanc éclatant à une subtile gamme de gris. Le résultat architectural est spectaculaire et attire naturellement les visiteurs vers les 12 000 mètres carrés d’espace d’exposition. À l’instar du Museum of Modern Art de New York, la Pinacothèque d’art moderne s’organise en quatre collections : peinture et sculpture, arts graphiques, architecture et design. Bien que logées sous le même toit, chacune d’entre elles possède son espace propre ; un aménagement qui rappelle l’absence de frontières entre les différentes formes d’art. Chaque collection dispose d’un directeur : Michael Semff (arts graphiques), le professeur Winfried Nerdinger (architecture) et le professeur Florian Hufnagl (design), sous le contrôle général du professeur Reinhold Baumstark, également responsable des beaux-arts.
Les œuvres les plus récentes de la Bayerische Staatsgemälde-Sammlungen (la collection de tableaux de la Bavière) occupent la totalité de l’étage supérieur, soit près de la moitié de la superficie totale. Les murs sont très hauts, donnant beaucoup d’espace aux 350 tableaux, tandis qu’une lumière soigneusement contrôlée (naturelle pendant la journée) provient du plafond en verre dépoli. Couvrant la période du début du XXe siècle jusqu’à nos jours, les 36 salles de cet étage sont organisées par ordre chronologique, mais la plupart sont consacrées à un seul artiste ou à un petit groupe. Les expressionnistes allemands, notamment Beckmann, Heckel, Kirchner, Müller, Nolde et Schmidt-Rottluff, ainsi que de nombreux autres artistes du groupe Die Brücke et du Blaue Reiter, constituent le point le plus fort du musée de Munich. Dans les salles adjacentes figurent les cubistes, la Neue Sächlichkeit, les surréalistes et un important groupe d’œuvres de Picasso. La seconde moitié de l’étage supérieur couvre la période de l’après-guerre, et inclut des salles consacrées à Baselitz, Beuys, Flavin, Fontana et Rainer, ainsi que des œuvres signées Bacon, de Kooning, Judd, Nauman, Polke, Richter, Twombly, Wall et Warhol. Une salle présente un groupe de seize sculptures de Donald Judd, prêtées par un collectionneur américain, que la pinacothèque espère acquérir. La pièce visionnaire de Beuys, La Fin du XXe siècle, dispose de son propre espace, tandis que la dernière salle, la plus grande, est dédiée aux œuvres du nouveau siècle.
La troisième plus grande salle de gravures d’Allemagne
Les galeries de gravures et de dessins se trouvent au rez-de-chaussée, dans un endroit protégé de la lumière du jour. La collection des œuvres sur papier (Staatliche Graphische Sammlung) comprend 350 000 gravures et 45 000 dessins, ce qui en fait le troisième espace d’exposition de gravures après Berlin et Dresde. Elle couvre la période de la Renaissance (y compris des œuvres du Greco et de Rembrandt), mais se concentre surtout sur le XXe siècle. L’exposition d’ouverture (jusqu’au 6 janvier) comprend nombre de chefs-d’œuvre, et la prochaine manifestation célèbrera le centenaire de la naissance de l’artiste italien Antonio Calderara. Les dessins d’architecture bénéficient quant à eux d’une présentation spéciale, dans une longue galerie adjacente à celle des arts graphiques. Cette collection (qui appartient au Musée d’architecture de l’université technique et remonte à 1960) comprend 350 000 dessins, 100 000 photographies et 500 maquettes. L’exposition d’ouverture, “La construction et l’espace dans l’architecture du XXe siècle” (jusqu’au 2 mars), sera suivie d’une exposition sur Gottfried Semper, originaire de Hambourg, précurseur de l’architecture moderne, décédé à Rome en 1879. Connue sous le nom de Neue Sammlung, la collection de design est issue de la Deutsche Werkbund, fondée à Munich en 1907. Bien qu’étant un musée d’État depuis 1925, la collection, riche de 60 000 objets, n’avait jamais disposé de son propre espace d’exposition permanente. À la pinacothèque de Munich, elle occupe au moins la moitié du sous-sol, auquel on accède par un escalier spectaculaire placé sous un immense atrium. Les objets présentés comprennent des véhicules, des œuvres en métal, en verre, des céramiques ainsi que des meubles. Une réserve et une salle dévolue à la joaillerie contemporaine seront terminées l’an prochain. Pourquoi ce retard ? La création de la Pinacothèque d’art moderne est le résultat d’un long effort, que le professeur Baumstak a comparé à celui de la mise en scène d’une pièce de théâtre : “Il faut qu’il y ait un événement dramatique et il vaut mieux qu’il arrive au milieu de la pièce, avant une glorieuse apothéose.”
Il a tout d’abord fallu à Munich plusieurs décennies pour se relever de la guerre.
La ville possède deux autres pinacothèques, toutes deux bombardées pendant la Seconde Guerre mondiale, mais dont la majorité des collections avait été mises en sûreté. La Alte Pinakothek (œuvres de maîtres anciens) a été très endommagée et n’a pas réouvert avant 1957. La reconstruction s’est révélée insuffisante, et il a fallu ensuite tout rénover, ce qui a occasionné la fermeture du musée de 1994 à 1998. La Neue Pinakothek (tableaux des XVIIIe et XIXe siècles) a été totalement détruite par les bombardements, et le bâtiment reconstruit n’a ouvert ses portes qu’en 1981. Pendant de nombreuses années, les œuvres phares de ces deux collections ont été exposées temporairement à la Haus der Kunst, le musée construit par Hitler en 1937 pour exposer l’art nazi. Munich avait été l’une des plus grandes villes d’art entre les deux guerres, mais, à la fin du régime nazi, elle ne possédait plus aucune œuvre d’art moderne. En 1945, la collection de l’État de Bavière comprenait exactement six tableaux modernes, signés Matisse, Marc, Corinth et Kokoshka. Progressivement, cependant, la collection s’est agrandie, et les tableaux interdits par Hitler ont finalement été exposés à la Haus der Kunst. La plupart de ces acquisitions provenaient de donateurs privés, comme Markus et Martha Kruss (artistes du groupe Die Brücke), Günther Franke (Max Beckmann), Theodor et Woty Werner (modernes classiques) et la Fondation Theo Worlmand (surréalistes).
Le besoin d’un nouveau musée d’art moderne s’est fait de plus en plus pressant, pour devenir une priorité dans les années 1970. En 1990, une première décision avait été prise en sa faveur mais, quelques années plus tard, le Premier ministre bavarois, le docteur Stoiber, déclarait que l’État ne pourrait financer la nouvelle pinacothèque que si des donateurs privés fournissaient 10 % du montant nécessaire, soit 200 millions de deutschemarks (102 millions d’euros). Collecter l’argent privé n’a pas pris longtemps, mais choisir un architecte et obtenir le feu vert final s’est révélé plus difficile, et a repoussé le début de la construction à 1996. Le coût a encore augmenté par la suite, atteignant 236 millions de deutschemarks (121 millions d’euros). L’État a dû intervenir et a interrompu les travaux. L’État de Bavière assure aujourd’hui le fonctionnement des trois pinacothèques. La Pinacothèque d’art moderne attend plus d’un million de visiteurs par an, un chiffre important pour un musée qui n’est pas situé dans une grande capitale. Les Alte et Neue Pinakothek se trouvent tout près, et trois autres collections sont à quelques minutes de marche de là : la Glyphothek (sculpture classique), la Antikensammlungen (antiquités gréco-romaines) et la Lenbachhaus (art allemand du début du XXe siècle). La Haus der Kunst doit, quant à elle, être entièrement consacrée aux grandes expositions temporaires. Munich peut s’enorgueillir d’accueillir la plus grande fête de la bière, la Oktoberfest ; mais elle a ausi maintenant retrouvé son statut d’importante ville d’art en Allemagne.
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Munich a enfin ouvert son musée d’art moderne
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°157 du 25 octobre 2002, avec le titre suivant : Munich a enfin ouvert son musée d’art moderne