Église - Grands sites

Mont et merveilles

Un plan de désensablement devrait lui rendre son insularité

Par Eva Bensard · Le Journal des Arts

Le 7 mars 2003 - 833 mots

MONT-SAINT-MICHEL

Afin de lutter contre l’ensablement qui menace depuis longtemps déjà le caractère maritime du Mont-Saint-Michel, l’État et les collectivités territoriales ont mis sur pied un vaste projet visant à redonner au rocher de granit son caractère insulaire. Les travaux, prévus de fin 2003 à 2008, sont estimés à 134 millions d’euros.

MONT-SAINT-MICHEL - “Le Mont-Saint-Michel est pour la France ce que la grande pyramide est pour l’Égypte. Il faut le préserver de toute mutilation. Il faut que le Mont reste une île”, écrivait Victor Hugo en 1885. Un peu moins d’un siècle plus tard, les experts de l’Icomos (International Council on Monuments and Sites) notaient dans leur rapport au Comité du patrimoine mondial de l’Unesco, qui décida de classer le site en 1979 : “Le Mont-Saint-Michel, qui se dressait avant la construction de la digue insubmersible du siècle dernier, au-dessus de la mer, risque à courte échéance d’être perdu au milieu des champs. En effet, sa baie s’ensable. Il a donc été décidé depuis 1970 d’étudier ce processus afin d’y remédier.

En conclusion, il apparaît que si des mesures exceptionnelles ne sont pas prises à court terme, le Mont aura perdu tout caractère marin avant la fin du siècle”. Il a cependant fallu attendre 1995 pour que l’État et les collectivités territoriales (Région Basse-Normandie, département de la Manche, communes du Mont-Saint-Michel, de Beauvoir et de Pontorson) lancent un plan visant à rétablir la spécificité maritime du site. Comme toutes les baies, celle du Mont est en effet progressivement comblée par les sédiments que la mer dépose à chaque marée, sédiments eux-mêmes rapidement colonisés par la végétation (à raison de 30 hectares par an). Ce phénomène a été accentué au fil des siècles par diverses interventions humaines : construction sur 2000 hectares de polders pour l’agriculture et l’élevage ; réalisation en 1879 d’une digue-route qui rattache le Rocher au rivage mais brise l’élan des eaux, provoquant ainsi la stagnation des alluvions ; création d’un parking à trop grande proximité du Mont et, enfin, aménagement d’un barrage sur la rivière du Couesnon, trop étroit pour lutter efficacement contre la sédimentation. Ces installations ont de surcroît détruit une partie du charme du lieu. Pour preuve, les milliers de voitures qui, l’été, s’étalent sur un kilomètre jusqu’au pied des remparts, ou bouchonnent sur la digue-route.

Querelles locales
Au terme de plusieurs années d’études et de concertations, un programme technique détaillé (PTD) d’aménagement et de construction d’ouvrages a été mis au point en avril 1999. Trois dispositifs majeurs ont été envisagés pour redonner au Mont un aspect insulaire tout en protégeant son environnement unique : démolition des parkings sur les grèves (15 hectares) – ils seront réaménagés plus loin sur le continent ; remplacement de l’actuelle digue par un pont-passerelle interdit aux voitures, imaginé par l’architecte autrichien Dietmar Feichtinger ; restauration de la puissance hydraulique du Couesnon grâce à un nouveau barrage apte à générer des chasses. À l’image des “miquelots”, ces pèlerins qui, jusqu’au XVIIIe siècle, gagnaient à pied l’objet de leur vénération, les touristes devront faire quelques kilomètres pour accéder au piton rocheux. Quant aux réfractaires, ils pourront emprunter les “passeurs”, ces navettes de transport (des trains sur pneumatiques) qui assureront la desserte du Mont.

D’un coût estimé à 134 millions d’euros, le PTD sera pris en charge par l’État et les collectivités, qui bénéficieront également de contributions de l’Union européenne et de l’Agence de l’eau. Approuvé par les ministères et commissions concernés ainsi que par le commissaire-enquêteur, qui a rendu le 6 février un avis favorable sur les enquêtes publiques menées au cours de l’été dernier, ce plan de désensablement devrait vraisemblablement débuter, après autorisation préfectorale, fin 2003, et toucher à sa fin en 2008. Mais son lancement pourrait être retardé par les revendications des commerçants, au premier rang desquels Éric Vannier. Ancien maire du Mont-Saint-Michel et propriétaire de plusieurs hôtels et restaurants – dont la célèbre Mère Poulard, marque qui s’exporte aujourd’hui dans soixante-dix pays – , il s’oppose notamment à l’emplacement du parking, situé selon lui trop loin de la baie. Auteur d’un rapport intitulé “Une bonne idée malheureusement dévoyée et dont le traitement est à repenser”, il menacerait d’engager un recours en justice.

Le Mont-Saint-Michel en dix dates

708 : Aubert, évêque d’Avranches, fait édifier sur ce qu’on appelait alors le "Mont Tombe" un sanctuaire dédié à l’archange saint Michel. 966 : Richard Ier, duc de Normandie, y fonde un monastère bénédictin qui deviendra un important lieu de pèlerinage. 1203 : Ravagé par le feu, le monastère est remplacé par la Merveille. Située au cœur de l’abbaye, elle comprend le réfectoire, la salle des hôtes, l’aumônerie, le scriptorium et le cloître, suspendu à 77 mètres au-dessus des eaux. 1666-1848 : Le Mont est transformé en prison. 1874 : Le Mont-Saint-Michel est classé monument historique. 1879 : Construction de la digue-route. 1966-1969 : Édification du barrage du Couesnon. 1979 : Classement du Mont au patrimoine mondial de l’Unesco. 1995 : Mise en place du plan de désensablement. 2003/2004-2008 : Calendrier prévisionnel des travaux.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°166 du 7 mars 2003, avec le titre suivant : Mont et merveilles

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