CHANTILLY
Les héritiers du duc d’Aumale envisageraient de faire révoquer sa donation. Une hypothèse qu’écarte le Quai de Conti, mais qui n’est cependant pas dénuée de fondements juridiques.
Chantilly (Oise). La transformation du pavillon d’Enghien (en face du château de Chantilly) en un hôtel de luxe devait être l’une des solutions aux problèmes budgétaires du domaine de Chantilly, propriété de l’Institut de France depuis la donation du duc d’Aumale en 1886. Le projet hôtelier vaut désormais à l’Institut une enquête du Parquet national financier portant sur la régularité de l’appel d’offres pour la concession du pavillon d’Enghien.
Ce sont maintenant les héritiers du duc d’Aumale qui s’intéressent à l’affaire : ils considèrent en effet que la transformation du pavillon constitue une entorse au testament, qui exige que ne soit apporté « aucun changement dans l’architecture intérieure ou extérieure [du pavillon] d’Enghien ». Sur ce fondement, et sur celle de rumeurs évoquant la mauvaise gestion des œuvres, les héritiers envisagent de révoquer la donation centenaire.
L’administratrice du château de Chantilly, Fériel Fodil, rappelle de son côté que le Musée Condé, qu’abrite le château, a reçu l’appellation « Musée de France » « sur la base d’un projet scientifique et culturel fondé sur le respect du testament du duc d’Aumale ». Elle revendique par ailleurs une bonne préservation du patrimoine légué par le duc, et rappelle le caractère « irrévocable » de la donation.
Si elle est irrévocable, la donation comporte des charges, qui obligent à la préservation du domaine dans l’état exact laissé par le duc d’Aumale. « La donation est un contrat, et comme tout contrat il a des clauses, rappelle Magali Gibert, avocate au barreau de Paris spécialiste du droit des successions. La donation est irrévocable, mais avec charges. Et celui qui la reçoit ne peut pas exécuter ces charges à moitié. » Juridiquement, la révocation de la donation est envisageable, « si le juge considère qu’il y a un manquement aux clauses de la donation », explique Maître Gibert.
Des exemples bien connus existent dans la jurisprudence, même si « les demandes de révocation sont plus nombreuses que les cas de révocation », observe Xavier Pres, avocat au barreau de Paris spécialiste du patrimoine culturel. La révocation du legs de René Domergue (1949-1988) à la Ville de Bordeaux, laquelle a dû restituer la collection de peintures aux héritiers en 2007, est l’un des cas les plus récents. « Dans le secteur culturel, il est très fréquent que la donation soit accompagnée de charges très précises, portant sur les conditions d’exposition des œuvres, leur conservation, leur présentation… », ajoute Maître Pres.
C’est le cas du testament du duc d’Aumale, particulièrement exigeant. La transformation architecturale de l’un des bâtiments du domaine, ou des manquements à la conservation peuvent-ils suffirent à révoquer la donation ? « Difficile à dire, car il faut se méfier de ce qui se dit de loin, estime Xavier Pres. Seule l’analyse des éléments en présence permettrait de se faire une idée précise du risque de révocation. Et ce n’est pas une réserve de style car, d’expérience, un procès se gagne sur les pièces, sur les détails. » Pour l’heure, les rumeurs sur la conservation des collections demeurent des rumeurs, et la transformation hôtelière du pavillon d’Enghien est abandonnée.
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L’Institut de France peut-il perdre Chantilly ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°579 du 10 décembre 2021, avec le titre suivant : L’Institut de France peut-il perdre Chantilly ?