Grâce à une organisation politique très particulière, les présidents français, après les monarques, ont réussi à obtenir de leurs sujets qu’ils financent des monuments magnifiques, pour dire la gloire du prince et de la nation. Les musées en sont une des illustrations les plus récentes.
Aucun autre pays au monde n’a eu, pendant si longtemps, des monarques assez puissants pour imposer leurs façons de laisser des traces monumentales. Même s’il existe ailleurs des palais et des cathédrales, des mosquées et des temples, aucun pays n’a poursuivi cette tradition pendant les mille dernières années : ceux qui en avaient les moyens il y a dix siècles, comme l’Italie ou l’Inde, ne les ont plus aujourd’hui ; et ceux qui peuvent se l’offrir aujourd’hui, comme les Américains, sont des parvenus de la grandeur, sans mémoire. Seuls l’Inde, la Chine et la Russie pourraient être un jour des revenants d’une puissance perdue.
François Mitterrand en fit un usage immodéré, inaugurant le Musée d’Orsay voulu par son prédécesseur, créant le « Grand Louvre » à partir du musée conçu par les derniers rois du XVIIIe siècle, puis la « Très Grande Bibliothèque », et quelques autres grands projets, plus ou moins réussis, parmi lesquels l’Opéra Bastille.
Depuis, la France n’a plus les moyens ni le goût de ce genre de démesure sur son sol : les Français veulent des bibliothèques et des musées dans chaque canton et non dans leur seule capitale. La gloire de leur prince n’est plus tolérée, encore moins souhaitée.
On est donc passé à une autre étape, qui commence, dans le non-dit, dès la fin des mandats de François Mitterrand : si Jacques Chirac a lancé encore le Musée du quai Branly, puis la Philharmonie, sans doute le dernier des grands travaux parisiens, la France s’est promise alors, sans se l’avouer à elle-même, à une autre aventure : exporter ses grands travaux ; les réaliser ailleurs, pour le compte d’autrui, en y associant ou non le nom de la France.
Le Louvre-Abou Dhabi est un exemple éclatant de cette nouvelle catégorie de grands travaux français. Après quelques autres moins spectaculaires, comme la restauration des temples d’Angkor, ou après la participation d’entreprises françaises à la construction de villes nouvelles, pour le compte de dirigeants politiques à la moralité souvent plus que suspecte.
Cela pourrait être le dernier éclat d’un pays en déclin, le dernier écho d’une puissance assourdie, dont les nouveaux riches se paieraient les services décadents. Cela pourrait être à l’inverse une nouvelle façon pour la France de jouer sa partition dans le monde : créateur de démesure, fabriquant de grandeur, exportateur de gloire.
Dans le monde qui vient, on aura toujours besoin de grands projets rassemblant la grandeur des nations et la magie de l’esthétique. Ils exigeront des compétences de plus en plus diverses, depuis les métiers d’art, qu’il faudra savoir préserver, jusqu’aux technologies les plus avancées des matériaux et du numérique.
La France a là un champ d’exploration considérable, dans des domaines que ses entreprises maîtrisent mieux que personne, et qui pourrait lui fournir un relais de croissance conforme à son génie. À condition de protéger tous ces métiers, de les enseigner, de les valoriser. Et de reconnaître que l’art, sous toutes ses formes, est une partie essentielle du génie français.
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Les « grands travaux », hors les murs
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Abonnez-vous dès 1 €Le Président de la république François Mitterrand inaugure le musée d'Orsay, le 1er décembre 1986 à Paris, en présence de Valéry Giscard d'Estaing (G), Françoise Cachin (D), conservateur en chef et Anne Pingeot (de dos), conservateur du musée d'Orsay. © DERRICK CEYRAC / AFP
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°489 du 17 novembre 2017, avec le titre suivant : Les « grands travaux », hors les murs