Après les statues des villes de France, c’est au tour des deux fontaines de la place la plus célèbre de Paris d’être en état de désagrégation avancée. Bras cassés, têtes sectionnées, corps en lambeaux, fuites des fontaines, les sculptures se fissurent et s’effondrent par morceaux entiers de fonte. Leur restauration, estimée à 40 millions de francs, est devenue « une priorité absolue » pour la Ville.
PARIS - Les deux fontaines, dessinées par l’architecte Hirtoff au XIXe siècle, qui ornent le centre de la place de la Concorde, partent en morceaux. "L’alerte a été lancée par les habitants du quartier. Des morceaux entiers de fonte se détachaient sans que personne n’y fasse attention. Nous avons lancé un appel de détresse aux autorités", explique Madame Bernadette Prévost-Marcilhacy, présidente de l’association "Pour la sauvegarde de la place de la Concorde et alentours," créée en 1991.
Ces autorités de tutelle sont doubles. Classée monument historique, la place de la Concorde est protégée par l’État, mais elle appartient à la Ville, responsable de la voirie et des monuments (obélisque excepté).
"Priorité absolue"
L’État et la Ville ont entendu cet appel : non seulement les fontaines seront restaurées mais on en profitera pour redonner une nouvelle jeunesse à la place de la Concorde, décrétée au début de l’année "priorité absolue" par le maire Jacques Chirac lors de sa déclaration de politique culturelle. Ce plan global de restauration prend en compte les fontaines mais aussi les balustrades qui s’effritent, les chaussées défoncées, les problèmes de circulation… Les statues des villes de France ont, elles, déjà bénéficié d’une restauration en 1989. Quant aux colonnes rostrales (candélabres) les travaux, prévus de longue date, ont commencé fin janvier.
Selon une première étude réalisée par les services des Monuments historiques, les deux fontaines sont victimes de plusieurs phénomènes naturels, climatiques et historiques. "L’essentiel vient des effets de la corrosion, accentués parfois par un problème d’étanchéité", précise Michel Jantzen, architecte en chef des Monuments historiques. La plus touchée à cet égard est la fontaine des Mers – située du côté de la Seine – qui a subi des chocs thermiques (un soleil dru, des vents d’ouest dominants) à l’origine des cassures.
Une restauration malheureuse
Mais l’architecte accuse surtout une restauration malheureuse. En 1861, on avait pensé remédier à l’oxydation de la fonte en appliquant des plaques de cuivre. Résultats catastrophiques, constate l’étude : "Aujourd’hui, la pellicule de cuivre se soulève, se casse et plus rien ne protège les sculptures." Les plaques de cuivre ont achevé de ronger la fonte qui se décolle à son contact.
"Il y a urgence", répète Michel Jantzen. Selon lui, les six pièces qui soutiennent le pied central des fontaines menacent de s’écrouler. Pour le directeur des Affaires culturelles de la Ville de Paris, Jean-Jacques Aillagon, le principe de la restauration est acquis, reste à trouver le financement. "L’État participera financièrement à ce plan de restauration mais nous comptons également, pour les fontaines, sur l’aide de mécènes que l’association aura su convaincre. Pour l’instant, rien n’est décidé, ajoute-t-il, la technique de restauration n’a pas été arrêtée."
En effet, un débat vient d’être lancé sur l’opportunité d’employer des matières plastiques. Moins cher, le procédé permettrait une restauration plus rapide et plus durable. "C’est un faux débat", répond Michel Jantzen, partisan de la refonte des fontaines. "Elles ont tenu cent cinquante ans. C’est honorable ! Le seul problème vient de la fonte de fer qui s’oxyde. Les tritons et les néréides, ces sculptures en bronze près du bord, ne nécessiteront, elles, qu’un nettoyage classique. On peut ensuite les protéger avec une peinture spéciale."
Une première réunion à l’Hôtel de Ville avec tous les acteurs de la restauration, début février, a permis de définir un échéancier. Un livre blanc devrait être publié au printemps prochain qui déterminera la technique à utiliser. Mais la restauration elle-même ne devrait pas intervenir avant la prochaine mandature, en 1995.
Les deux fontaines devaient être quatre selon le projet original de l’architecte Jacques-Ignace Hirtoff en 1833. Après cinq ans d’hésitations, le projet est arrêté : seules deux fontaines seront mises en eau, économie oblige. De tous les ornements de la place, le projet des fontaines a valu à Hirtoff le plus de travail. Conscient de leur importance fondamentale dans l’agencement de la place, Hirtoff a consacré quatre ans à leur seul dessin, et a envisagé de multiples variantes. Il y aura une fontaine des Mers du côté Seine, et une fontaine des Fleuves, côté rue Royale. La place est aussi dédiée à la gloire du pays avec les statues des villes de France : l’architecte s’inspire donc de ce décor allégorique et imagine des sculptures qui glorifient les activités économiques du pays. Côté mer, les six figures colossales représentent l’Océan et la Méditerranée et quatre types de pêche. Côté fleuve, figurent le Rhône et le Rhin près des quatre principales récoltes du sol français. L’idée de créer une place, lancée par le roi Louis XV, aboutira cent cinq ans plus tard avec l’inauguration officielle des fontaines sous la Monarchie de Juillet, en mai 1840.
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Les fontaines de la Concorde s’effondrent
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°1 du 1 mars 1994, avec le titre suivant : Les fontaines de la Concorde s’effondrent