VERSAILLES
Tout en finançant les travaux du château, l’État manque de clarté sur les projets d’aménagement des franges du domaine.
VERSAILLES - C’est en délégation que les représentants de l’État se sont déplacés au château de Versailles, le 5 décembre. Quelques jours seulement après le vote en conseil municipal d’une révision du plan local d’urbanisme (PLU) suscitant un début de polémique, le ministre de la Culture et le préfet sont venus réaffirmer solennellement l’engagement de l’État en faveur de l’ancien domaine royal. Une absence a toutefois été remarquée : celle de François de Mazières, le premier magistrat de la Ville, qui n’avait pas été convié. Dans un discours en forme de lettre de mission adressé à la nouvelle présidente des lieux, Catherine Pégard, ancienne journaliste et conseillère de Nicolas Sarkozy depuis 2007, Frédéric Mitterrand a confirmé le soutien public en faveur de Versailles.
D’ici à 2017, 171 millions d’euros seront injectés pour poursuivre le patient travail de remise en état du domaine dans le cadre de la seconde phase du schéma directeur. Lancé en 2003, ce programme prévoit d’octroyer aux travaux une enveloppe de 500 millions d’euros sur dix-sept années, la première phase (2004-2012) ayant déjà permis d’investir 159 millions d’euros. Entre 2017 et 2020, il faudra donc fournir encore un effort important (170 millions) pour atteindre l’objectif initial. L’Établissement public de Versailles (EPV) devra toutefois contribuer à cet effort, en élevant son taux de ressources propres de 23,3 % à 34 %, la part de l’État diminuant de 10 points (de 76,7 à 66 %). Un vrai défi pour la nouvelle patronne de Versailles, qui donnait là sa première conférence de presse, deux mois après son entrée en fonction, « sachant que vous n’y êtes pas pour rien », a-t-elle glissé au ministre. Jean-Jacques Aillagon, le président sortant, appréciera.
Zones à urbaniser
Cette seconde phase privilégiera la modernisation des réseaux et la mise en sécurité. Une partie des appartements royaux, dont certaines pièces feront, en parallèle, l’objet d’une restauration, seront donc fermés à la visite. Le chantier se poursuivra également du côté du Grand Commun, destiné à abriter réserves, services techniques et administratifs, et jusque dans le parc. Or c’est là que pourrait se jouer une partie décisive relative à la pérennité foncière du domaine. Révélés par le site La Tribune de l’Art, les projets menés par la Ville de Versailles, votés fin novembre en conseil municipal, suscitent en effet l’inquiétude. D’après Julien Lacaze, juriste spécialiste de l’histoire du droit du patrimoine et auteur d’une thèse sur le cas du Domaine de Versailles, qui a étudié dans le détail ce PLU, cette révision définirait plusieurs nouvelles zones à urbaniser, situées en bordure du parc de Versailles. Deux projets seraient toutefois irréalisables sans accord de l’EPV et donc de l’État, car ils concernent des terrains classés monuments historiques et affectés en gestion à l’établissement public du château. Il s’agit des sites des Matelots et des Mortemets, au sud du Domaine. « C’est là qu’avait été projetée la nouvelle implantation de Roland-Garros, finalement écartée par la Fédération française de tennis, qui prévoyait notamment la construction de deux stades plus vastes que le palais omnisport de Bercy ! », explique Julien Lacaze. La Mairie aurait donc reconverti son projet en un « aménagement concerté avec l’EPV intégrant la tradition des jardins, le sport, l’événementiel et les activités associées », selon la terminologie ambiguë de son nouveau PLU.
Joint par téléphone quelques jours après la conférence de presse, François de Mazières crie au procès d’intention et dément avec fermeté. « Je me bats depuis deux ans avec une énergie farouche pour rétablir, dès 2013, la grande allée Le Nôtre qui va de la pièce d’eau des Suisses aux frontières de Saint-Cyr, par le biais d’un financement intercommunal. Je veux au contraire redonner de l’allure à ces terrains qui sont aujourd’hui en friche. » Rétropédalage ? Lors de la conférence de presse, les représentants de l’État ont semblé plutôt embarrassés par le sujet. Interrogé, le ministre a insisté sur le fait que rien ne pourrait se passer sur des terrains classés. « J’ai une vigilance considérable pour tout ce qui est «inscrit» (sic) », a précisé Frédéric Mitterrand, en présence du préfet. Sans jamais évoquer le projet d’allée Le Nôtre.
Pression foncière
D’autres projets immobiliers concernant des terrains non protégés encore affectés au ministère de la Défense, situés sur le site de Pion et de Satory, visent au développement d’un nouveau pôle d’activité, toujours dans le périmètre de l’ancien « Petit Parc » de Louis XIV. « Je pense en effet qu’il faut y construire », admet l’édile. Une logique qui inquiète Julien Lacaze, qui y voit la menace d’une pression foncière et plaide a contrario pour une réaffectation de ces terrains à l’établissement public, après le départ de l’armée. Le juriste insiste sur la dimension « patrimoine naturel » du parc de Versailles, qui vient de récupérer en gestion le domaine de Marly. « Il me semble qu’il existe une contradiction entre la politique d’enrichissement des collections versaillaises en faveur du château, menée avec succès, et ce désintérêt pour le remembrement du domaine. C’est là une vision à court terme. »
Catherine Pégard, présidente de l’Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles, n’entend pas remettre en cause ce qu’avait initié son prédécesseur, Jean-Jacques Aillagon. Ainsi du programme de logements sociaux prévu pour être construit en lieu et place de la gendarmerie désaffectée de Chèvreloup, une ancienne ferme du XVIIIe siècle située sur des terrains affectés à l’EPV. Ce projet avait été annoncé par l’ancien président, juste avant son départ de Versailles. Interrogé pour savoir si c’était bien le rôle d’un établissement public culturel que de se faire ainsi promoteur immobilier et bailleur social, Frédéric Mitterrand a apporté sa caution : « Je ne pense pas que Jean-Jacques Aillagon soit sorti de son rôle en lançant ce projet, a-t-il déclaré. Le rôle d’un établissement public est aussi de gérer ses propriétés. » De fait, l’établissement bénéficie d’une convention unique d’utilisation du domaine, signée en juin 2011, qui lui permet de percevoir directement toutes les recettes domaniales liées à son activité. Et la promotion immobilière – qui sera dans ce cas déléguée à un partenaire — n’est pas la moins rentable.
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Les chantiers de Versailles
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°359 du 16 décembre 2011, avec le titre suivant : Les chantiers de Versailles