SAINT-PÉTERSBOURG / RUSSIE
Au début des années 1990, le budget du Musée national de l’Ermitage était 100 fois moindre que celui du MET de New York. Un retard rattrapé en vingt ans en misant sur la collecte de fonds privés.
Le budget de l’Ermitage a longtemps été le cauchemar de Mikhail Piotrovsky, le directeur général de l’Ermitage. À son arrivée à la tête du musée, après le naufrage de l’Union soviétique, l’État ne versait qu’irrégulièrement sa contribution s’élevant alors à un million de dollars. « J’étais, aux yeux de notre club d’amis américains, le directeur le plus performant au monde car je gérais un des plus grands musées de la planète avec un budget si faible qu’il ne m’aurait pas permis d’être membre de l’association américaine des musées », s’amuse Piotrovsky. Dans ces années-là, l’instabilité politique et économique du pays interdisait d’envisager toute stratégie économique à moyen ou long terme. En outre, l’Ermitage était dirigé principalement par des chercheurs aux yeux desquels les compétences en gestion étaient jugées superflues. Dans ce contexte, l’impératif était alors de gérer des ressources réduites tout en partant en quête de revenus complémentaires.
L’autonomie financière est le prix de la liberté
« C’est grâce à nos ressources propres que nous avons acquis notre liberté vis-à-vis des autorités », poursuit Piotrovsky. En 2003, le budget du musée grimpe à 20 millions de dollars dont 10 millions apportés par l’État. En 2013, il a atteint 130 millions de dollars dont 70 % sont pris en charge par les pouvoirs publics. Les autres recettes proviennent des tickets d’entrée (2,8 millions de visiteurs annuels), de l’organisation d’expositions clés en main contre rétributions, de donations et de contributions de sponsors.
Les revenus liés à l’organisation d’expositions représentent le quart des recettes du musée. En 2011, les conservateurs ont contribué à l’organisation de 49 expositions en Russie dont 36 clés en main, et de 35 à l’étranger dont 12 entièrement montées par ses équipes. Pour celles qui sont organisées au sein de ses satellites, l’Ermitage prélève, à titre d’exemple, 1 euro par ticket vendu à Amsterdam. En 2011, un million de visiteurs ont visité ses expositions hors les murs. « Nous ne faisons pas de commerce, se défend Piotrosvky. Le versement de contributions financières consiste en une sorte de don destiné à nous aider à développer notre institution. » Au début des années 1990, un département du développement est créé afin de collecter des ressources en Russie et à l’étranger. Compte tenu de la fragilité de l’économie russe, c’est vers les entreprises étrangères que l’Ermitage se tourne en premier lieu. « Les sociétés étrangères réclamant des normes comptables de type occidental, il a fallu remanier radicalement les opérations financières du musée. Un rapport financier annuel a été publié en russe et en anglais afin d’accroître la transparence et la responsabilité financière de l’institution », explique Stuart Gibson, l’ancien responsable du projet Ermitage-Unesco. L’Ermitage est aujourd’hui l’institution la plus transparente de Russie.
Coca-Cola, pionnier des sponsors occidentaux
Coca-cola a été l’une des premières multinationales à apporter son soutien au musée à partir de 1993. L’entreprise a financé la création d’un laboratoire de restauration de peintures à la tempera avant de soutenir l’école du musée en l’équipant d’ordinateurs multimedia. Plus récemment, elle a réglé des programmes de formation à l’étranger destinés aux équipes de restaurateurs. IBM est un autre sponsor de poids de l’Ermitage. Grâce à un partenariat initié en 1997, l’Ermitage possède aujourd’hui un des sites Internet les plus performants au monde. Il accueille chaque année plus de 3 millions de visiteurs qui ont accès à une grande partie des œuvres en haute définition avec possibilité de zoomer sur celles-ci pour les agrandir. Ils peuvent aussi effectuer des visites virtuelles des six palais et faire leurs emplettes sur le site d’e-commerce ouvert il y a dix ans. Le site web sera complètement remanié par IBM en 2014 pour la célébration des 250 ans du musée. Il en ira de même des éclairages des façades de l’État-major général et de ceux des salles d’exposition du Palais d’Hiver qui seront remis à neuf grâce aux subsides de Philips qui vient de signer un nouvel accord de coopération. Sponsor depuis 1997, Samsumg electronics a pris en charge l’installation d’écrans plats multimedia à l’entrée du musée et dans la cour du Palais d’hiver ainsi que d’écrans LED dans de nombreuses salles d’expositions. Côté français, notons la contribution de la Société marseillaise de revêtement et de ravalement. Celle-ci a fourni la peinture qui a permis au Palais d’hiver de retrouver ses façades ocre et vert pistache. Bâti en 1754 par l’architecte italien Bartolomeo Rastrelli ce palais a la particularité d’être doté de façades de briques recouvertes de plâtre, vulnérables au climat du golfe de Finlande marqué par des hivers froids et venteux, et des étés où la chaleur peut monter jusqu’à 30 degrés. Conséquence ? Les façades du palais doivent être refaites tous les trois ans. Un gouffre financier dans lequel disparaît chaque année 1 million de dollars.
Vladimir Potanin, oligarque mécène
Ces multinationales ont été rejointes par la suite par des sponsors russes. Parmi eux, on trouve plusieurs banques dont la Gazprombank et la Banque de Moscou, des hôtels de Saint-Pétersbourg, des diamantaires et une clinique vétérinaire qui ont versé chacun entre 25 000 et 100 000 dollars annuels au profit des Palais de la Neva. C’est Interros, un puissant fonds d’investissement dirigé par l’oligarque Vladimir Potanin, qui est l’intervenant le plus actif. C’est lui qui a conduit, en 1995, le programme des privatisations russes, se taillant au passage la part du lion. Il est aussi le président du Conseil d’administration de l’Ermitage. Sa mission à ce poste ? Coordonner la recherche et la levée de fonds pour soutenir les projets de développement du musée. La culture des « board of trustees » (conseil d’administration) n’existant pas alors en Russie, il lui incombait de montrer l’exemple. Toujours en quête de ressources complémentaires, Piotrovsky et son équipe ont développé un réseau d’amis de l’Ermitage en Europe et en Amérique du nord. « Notre objectif est de lever des fonds, mais aussi d’assurer la promotion et le rayonnement des collections de l’Ermitage dans le monde entier », souligne sans fausse pudeur Svetlana Philippova, la responsable de la coordination des Sociétés d’amis. Ce sont les Hollandais qui sont les amis les plus nombreux – 5 500 membres – et les plus actifs. Né en 1994, le club batave a contribué au financement des travaux de restauration des salles Rembrandt, Rubens et Snyder en prenant à sa charge la mise en place de nouveaux éclairages et de nouvelles toitures, ainsi que les encadrements d’une quinzaine de tableaux. Chaque club d’amis choisit dans quel chantier il souhaite investir ses subsides. Les Canadiens ont opté pour l’installation de filtres de protection contre les rayons ultra-violets sur les 2 200 fenêtres du musée. Avant de se lancer dans un ambitieux travail d’informatisation des collections qui ne comprennent pas moins de 3 millions d’objets. Un projet qui nécessitera quelque 3,3 millions de dollars d’investissements et huit années de travail. « Avant qu’ils ne s’attellent à l’informatisation, au début des années 2000, toutes les œuvres étaient répertoriées dans de gros livres », s’amuse Svetlana Philippova.
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Les bons comptes de Mikhail Piotrovsky
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°396 du 6 septembre 2013, avec le titre suivant : Les bons comptes de Mikhail Piotrovsky