Longtemps à l’étroit dans ses anciens locaux pour ac- cueillir un public de plus en plus nombreux, le Musée de Pont-Aven est aujourd’hui doté d’un nouveau bâti- ment d’une surface de 2 000 m2. Créé en 1985 pour raconter une aventure artistique qui ne se réduit pas à Gauguin, le musée s’est progressivement constitué une collection grâce à sa société d’Amis.
PONT-AVEN - En 1900, Julia Guillou, surnommée « la bonne hôtesse », inaugure l’extension de son hôtel sur la grand-place de Pont-Aven (Finistère). Un bâtiment qualifié alors de « voisin magnifique construit avec une armature d’acier comme un gratte-ciel de Chicago » par un voyageur anglais impressionné par « tous les supers raffinements de la civilisation du XXe siècle ». Aujourd’hui, l’hôtel retrouve les œuvres des peintres qu’il a abrités et qui ont formé l’école de Pont-Aven, auquel le musée est consacré.
Le musée inauguré en 1985 sans collections (lire l’encadré) renferme aujourd’hui dans ses murs 4 500 pièces dont près de 1 700 œuvres. Menant une campagne d’acquisition tous azimuts, le musée est très vite à l’étroit dans son ancien périmètre. Avec 850 mètres carrés de surface, l’institution municipale, si elle possède le charme des petits musées, manque de l’envergure nécessaire pour accueillir plus que ses 50 000 visiteurs annuels (un chiffre le classant au 3e rang des musées de beaux-arts de Bretagne sur le plan de la fréquentation).
Arrivée à la tête du Musée en 2006, la conservatrice Estelle Guille des Buttes-Fresneau, soutenue par la municipalité d’alors, préconise l’extension du musée. Munies de leur bâton de pèlerin, la directrice et la maire Isabelle Biseau convainquent habitants et conseil municipal de l’opportunité de dépenser plus de 8 millions d’euros pour agrandir le musée. Et le plan musées en régions (2011-2013) tombe à point nommé. Mais très vite, conscients des objectifs de rayonnement national et international, les élus se tournent vers la Concarneau-Cornouaille Agglomération (CCA), soit 50 000 habitants contre 3 000 à Pont-Aven. « Il a fallu convaincre neuf municipalités de l’intérêt du musée et des enjeux pour le territoire », se souvient Estelle Guille des Buttes-Fresneau. En 2012, avant le début des travaux, la CCA accepte de prendre la compétence du musée. Au final, le renouveau du musée aura coûté 8,1 millions d’euros, dont 2,5 millions d’euros apportés par l’État ; 3,3 millions, par la maîtrise d’ouvrage (Ville de Pont-Aven puis CCA) ; et 2,3 millions d’euros par la Région et le Département.
Après presque trois ans de travaux, le musée a rouvert dans l’annexe de l’Hôtel Julia (ancienne mairie), conçu par l’agence d’architectes L’Atelier de l’île, choisie sur concours en 2011.
Un jardin inspiré de Filiger
« Un chantier énorme, qui a subi trois mois d’intempéries dès son ouverture, la mérule et la découverte d’une source qui posait des questions d’étanchéité pour le bâtiment », relate le président de la CCA, André Fidelin. « L’enjeu était d’utiliser au mieux une parcelle très réduite, tout en conservant l’Hôtel Julia et ses volumes », précise l’architecte Marc Quelen. Doté d’une extension moderne et d’un jardin intérieur, le musée se déploie dorénavant sur quatre niveaux et 2 000 m2 de surface utile.
À l’entrée, accueil-boutique, salle pédagogique et centre de ressources prennent place autour d’un jardin paysager inspiré du Paysage rocheux, Le Pouldu de Charles Filiger, une gouache de 1891 exposée dans les collections permanentes. Cette inspiration n’est pas un simple artifice, et la citation est pertinente : les équipes en ont fait l’emblème du musée, décliné à l’envi sur leurs produits dérivés. À l’étage, la salle Julia a gardé ses belles proportions, sa cheminée et ses boiseries bretonnes pour recevoir conférences et événements. Les deux niveaux supérieurs sont consacrés aux expositions temporaires et à la collection permanente, qui dévoile ici 150 œuvres.
Le dernier étage, dévolu au parcours permanent, se découpe en dix sections, entre thématiques et chronologie, nourries d’acquisitions récentes, de prêts et de dépôts de musées amis. Parmi ces sections, le cabinet Paul-Gauguin offre une séquence riche de 14 œuvres de l’artiste qui séjourna cinq fois à Pont-Aven jusqu’en 1895. Les Deux Têtes de Bretonnes (1894), pastel acquis en grande pompe en 2003, côtoient Les Lavandières à Pont-Aven (1886), prêt exceptionnel consenti par le Musée d’Orsay à l’occasion de la réouverture. Il faut s’arrêter sur les cinq zincographies Volpini, reconnaissables à leur papier jaune. Les Amis de Pont-Aven espèrent un jour voir les onze initiales, liées à cet ensemble d’estampes de Gauguin, réunies sur les cimaises bretonnes.
Couleurs pures et spiritualité
Gauguin est entouré de son cercle d’amis, et l’on perçoit tout le paradoxe de l’école de Pont-Aven, dénomination donnée a posteriori à un entourage constitué d’artistes très différents, mais qui se retrouvaient en marge de l’art officiel. Paul Sérusier, Maurice Denis, Émile Bernard et Gauguin forment une colonie disparate, réunie autour de quelques fondamentaux : aplats de couleurs pures, forte spiritualité empreinte de mysticisme, revendication de la liberté picturale. Une définition un peu vague pour fonder une école.
Dans la section « Quête spirituelle », Sérusier, Bernard et Denis cohabitent heureusement, mais exposent clairement les différences de leurs approches. Si Sérusier se fait ésotérique et met en pratique de manière obsessionnelle sa théorie du nombre d’or dans La Vierge à l’Enfant (1914, dépôt Musée des beaux-arts de Lyon), Maurice Denis s’intéresse à la ferveur populaire bretonne, ses Feux et ses Pardons. Tandis que Sérusier se passionne pour la gravure : La Croix aux Saintes Femmes (1894) semble tout droit sortie d’un album de Dürer. Dommage que cette magnifique séquence soit noyée dans une couleur murale jaune qui en assourdit les couleurs.
À Pont-Aven, on découvre aussi l’avant et l’après-Gauguin : depuis la première colonie américaine à laquelle « il faut maintenant s’intéresser, il y a tout à faire ! », selon la conservatrice, jusqu’à Vallotton et les Nabis, avant que le parcours ne s’achève sur l’œuvre abstraite de Jean Deyrolle. De l’académisme à l’abstraction, le Musée de Pont-Aven a encore de beaux terrains d’investigation.
Une Société des Amis pour un musée né sans collection . La naissance du Musée de Pont-Aven en 1985 a été précédée par celle de l’association des Amis et du musée. Dès 1963, une « Association des Amis de Paul Gauguin », devenue en 1971 la « Société de peinture de Pont-Aven », organise des expositions temporaires dans l’espace qui contient aujourd’hui les réserves du musée. Si l’idée d’un vrai musée permanent fait son chemin, les Amis et la municipalité se heurtent à un obstacle de taille : la Ville de Pont-Aven ne dispose pas de collection. Lorsque le musée municipal est inauguré en 1985, il naît sans œuvre, mais riche d’un important fonds documentaire (affiches, catalogues anciens, livres, photographies) qui va servir de socle à l’acquisition volontariste des années suivantes. Plus de 150 œuvres ont ainsi été acquises en propre pour le musée par les Amis, dont 7 gravures de Gauguin, des toiles de Sérusier, Maurice Denis, Maxime Maufra et d’autres, répertoriées dans un ouvrage paru à l’occasion de la réouverture du musée (1). Et les Amis ont fait jouer leur carnet d’adresses, convainquant en 2015 la banque CIC Bretagne de devenir partenaire officiel du Musée, avec une convention d’une durée de cinq ans. (1) Pont-Aven, Naissance d’une collection, 1985-2015, Dons des Amis du musée, Éditions Locus Solus, Lopérec, 2016, 128 p., 19 €.
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Le nouveau Musée de Pont-Aven rouvre
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Abonnez-vous dès 1 €Place Julia, 29930 Pont-Aven, tél. 02 98 06 14 43, tlj sauf lundi, mars, novembre et décembre : 14h-17h30 ; avril à juin, septembre et octobre 10h-18h ; tlj en juillet et août 10h-19h, www.museepontaven.fr
Entrée : 7 ou 5 € suivant exposition temporaire.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°455 du 15 avril 2016, avec le titre suivant : Le nouveau Musée de Pont-Aven rouvre