OTTAWA / CANADA
Un plan stratégique dit de « décolonisation », des licenciements brutaux, des mécènes marginalisés…, la gestion du musée fait l’objet de multiples interrogations.
Ottawa (Ontario, Canada). Le licenciement soudain de quatre cadres du Musée des beaux-arts du Canada (MBAC) en novembre par la directrice intérimaire Angela Cassie a suscité de vives critiques de la part d’anciens employés du musée et d’importants mécènes, déjà opposés à la gestion du musée par l’ex-directrice Sasha Suda, qui a démissionné en juillet dernier. Nommée en 2019, Sasha Suda avait lancé un plan stratégique quinquennal intitulé « Transformer ensemble (2021-2026) », plan dit de « décolonisation », dont le texte d’intention insiste sur les notions de « diversité » et d’« inclusion », et fait de la valorisation de l’art autochtone une priorité. Sa mise en œuvre passe par une restructuration importante de l’organigramme ; lors de ses trois années de mandat, Sasha Suda avait déjà supprimé une vingtaine de postes, ce qui lui avait valu les critiques de plusieurs mécènes.
Depuis sa démission, c’est Angela Cassie, jusqu’alors vice-présidente à la transformation stratégique et à l’inclusion, qui assure la direction du musée et la mise en œuvre de ce plan stratégique avec le soutien du conseil d’administration du musée, accentuant le climat de tension qui règne au MBAC. La sous-directrice et conservatrice en chef Kitty Scott, le conservateur principal de l’art autochtone en poste depuis vingt-deux ans et d’origine Mohawk Greg A. Hill, le directeur de la conservation et de la recherche technique Stephen Gritt et la responsable de la communication Denise Siele ont été licenciés à la suite de la suppression de leurs postes. Angela Cassie a refusé de détailler les raisons de ces licenciements lors d’une conférence de presse, car ces derniers ne relèveraient pas de sa compétence mais de celle du service des ressources humaines. Dans les faits, les cadres congédiés, en particulier Greg A. Hill, auraient vivement manifesté leur désaccord sur l’établissement de ce plan stratégique, explique le mécène Pierre Lassonde au Journal des Arts.
Marc Mayer, ancien directeur du MBAC de 2009 à 2019, évoque un plan stratégique « complètement opaque » à Radio-Canada, déplorant que le musée n’ait pas présenté « les gens qui ont remplacé [les cadres licenciés] pour voir s’ils sont aussi compétents ». Il rappelle aussi les avancées déjà effectuées en faveur d’une plus grande intégration de l’art autochtone sous ses mandats, telles que l’organisation d’une grande quinquennale internationale de l’art autochtone contemporain avec la présentation de deux expositions d’importance, « Sakahàn » en 2013 et « Abadakoné » en 2019, un travail qui est occulté par les actuels dirigeants du musée.
Sept anciens employés du musée, dont Charles Hill, ancien conservateur d’art canadien ancien, et Diana Nemiroff, ancienne conservatrice au MBAC, ont adressé à la suite de ces licenciements une lettre ouverte au ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, pour lui faire part de leur inquiétude, évoquant un « degré élevé d’incertitude et d’instabilité interne », notamment du fait de la suppression du poste de directeur de la conservation et de la recherche technique.
Plusieurs mécènes soutenant financièrement le musée, avec l’Association des galeries d’art contemporain (AGAC) qui représente une soixante de marchands spécialisés, avaient déjà critiqué l’actuelle gestion du MBAC dans une première lettre ouverte adressée au ministre en juillet. Pierre Lassonde, signataire de cette lettre et grand mécène du MBAC, témoigne d’une « profonde incompréhension » face à cette mise à l’écart des mécènes par le nouveau plan stratégique du musée. « Lorsqu’un musée comme le MBAC entreprend de revoir son plan stratégique, il se doit de consulter l’ensemble de l’écosystème qu’il affecte. Plus de 20 % du budget du MBAC vient des mécènes et la grande majorité des œuvres acquises ces vingt dernières années viennent des collectionneurs », indique-t-il.
Le MBAC est financé à environ 75 % par des subventions publiques et à seulement 25 % par des fonds privés, contrairement aux autres musées canadiens qui sont généralement subventionnés à parts égales entre public et privé. L’institution est unique sur ce point, entretenant « une relation spéciale avec sa fondation, qui est assez récente, créée à la fin du mandat de Shirley Thompson [ancienne directrice générale du Musée] en 1998 », rappelait Diana Nemiroff à CBC Radio-Canada. Un désengagement de la fondation et des mécènes fragiliserait néanmoins le musée, notamment pour l’acquisition d’œuvres d’art.
Malgré les demandes d’explications, la direction du MBAC reste évasive sur les motivations exactes des licenciements comme sur les raisons de la mise à l’écart des mécènes. Le plan stratégique n’est « pas là pour écarter mais pour agrandir l’espace », car plusieurs voix artistiques, comme les artistes femmes et les artistes issus de minorités, ne sont pas assez présentes dans les collections du musée, a expliqué Angela Cassie à CBC Radio-Canada. La présidente du conseil d’administration, Françoise Lyon, a déclaré dans un communiqué soutenir l’actuelle directrice intérimaire dont les récentes décisions étaient « une étape importante à franchir pour assurer l’évolution du MBAC en tant qu’institution tournée vers l’avenir et reconnue mondialement ».
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Le Musée des beaux-arts du Canada sous le feu des critiques
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°601 du 16 décembre 2022, avec le titre suivant : Le Musée des beaux-arts du Canada sous le feu des critiques