Le Musée d’Ennery en quête d’un nouveau souffle

Paris. Vu de l’extérieur, c’est un hôtel particulier comme on en trouve par dizaines. Au 59 de l’avenue Foch, dans le 16e arrondissement de Paris, se cache pourtant derrière ce bâtiment néoclassique inscrit au titre des monuments historiques une collection unique, rare témoignage du goût des Européens du XIXe siècle pour l’Extrême-Orient.

En pénétrant dans cet écrin, construit en 1875, il faut se rendre au premier étage et faire quelques pas entre des colonnes plaquées marbre pour découvrir le trésor qu’il renferme. Coffres en bois laqué de style Namban du XVIe siècle, porcelaines à décor émaillé de style Kakiemon, figurines netsuke, céramiques de Kyoto, masques d’animaux et de chimères… Le Musée d’Ennery est un véritable cabinet de curiosités, regorgeant de bibelots présentés dans de somptueuses vitrines aux parois incrustées de nacre, réalisées par l’ébéniste Gabriel Viardot (1830-1904).

C’est en se fournissant chez de grands marchands parisiens, lesquels ont succombé à la tendance du japonisme du moment, que Clémence d’Ennery (1823-1898) – qui n’a jamais posé un pied en Asie – rassemble ces 7 000 objets. À sa mort, elle en fait don à l’État, qui ouvre le Musée d’Ennery en 1908. Le souvenir de celle qui est à l’origine de la collection, et de la construction du bâtiment qui l’abrite, est pourtant curieusement absent du lieu. Si au XIXe siècle collectionner était une affaire d’hommes, au XXIe ce sont toujours des bustes du mari de la collectionneuse qui décorent sa galerie.

C’est d’ailleurs par le constat de cette anomalie que débute la visite guidée du musée, de nouveau accessible au public depuis le 8 avril dernier, uniquement sur rendez-vous cependant. « Nous avons dû mettre en place ce système, avec des groupes de 15 personnes maximum, pour des questions de sécurité », explique Yannick Lintz, présidente du Musée national des arts asiatiques-Guimet, dont le Musée d’Ennery qui lui est rattaché. En effet, le site n’est plus aux normes, les derniers travaux ayant été effectués il y a plus de dix ans.

Malgré cela, après trois ans de fermeture dus à la pandémie de Covid-19 à laquelle s’est ajouté un contexte économique difficile, l’institution rouvre ses portes, forte de la nomination de sa nouvelle présidente à l’automne 2022. « J’arrive à la tête d’un établissement possédant trois magnifiques bâtiments dans Paris [le Musée Guimet, dont dépendent le Panthéon bouddhique et le Musée d’Ennery]. Je n’imagine pas ma responsabilité se limiter au vaisseau amiral, affirme Yannick Lintz. Concernant le Musée d’Ennery, je veux faire exister ce lieu exceptionnel, et cette réouverture n’est qu’un palier. »

La responsable de l’institution a pour objectif d’augmenter la jauge de fréquentation. À cet effet, en plus de la mise aux normes sur le plan de l’évacuation et de l’accessibilité, les huisseries, volets, fenêtres, toitures comme la façade devraient bénéficier d’un rafraîchissement. Pour valoriser ce lieu unique, labellisé « Musée de France », Yannick Lintz propose une refonte globale. Excepté le premier étage – celui des collections – rénové en 2012, le rez-de-chaussée (lieu de conservation des collections du Musée arménien de France, qui pourraient rejoindre le futur département des chrétientés en Orient au Louvre), le deuxième étage et l’extérieur seront rénovés. « Et puis il y a la cour, et les écuries… Il faut en faire quelque chose !, s’enthousiasme Yannick Lintz. Ce dont je rêve, c’est un lieu où l’on vient pour voir des collections et des expositions, mais aussi un point d’animation dans un quartier qui n’est pas si animé, alors qu’il est situé à quinze minutes de l’Arc de triomphe. » La présidente du Musée Guimet espère ainsi attirer un public plus jeune, mais aussi plus touristique, tablant sur les nombreux visiteurs asiatiques de passage à Paris.

Pour réaliser cette ambition, les premières estimations fixent un budget de 15 millions d’euros. Une somme beaucoup trop élevée pour le Musée national des arts asiatiques. L’idée est donc d’obtenir un financement privé. La cheffe de l’institution avertit : « Il faut se marier, mais pas avec n’importe qui. Le pari, c’est de trouver un partenaire culturel privé qui aurait des activités ou des collections en lien avec l’Asie. » Pour créer un pôle culturel, le rapport doit être gagnant-gagnant. « Le partenaire pourrait s’engager à financer les rénovations et, en échange, nous lui accorderions un bail emphytéotique, dont la durée varierait en fonction de la somme engagée », précise-t-elle. Des discussions ont lieu actuellement avec trois éventuels associés, dont un étranger.

En attendant de trouver le partenaire idéal, Yannick Lintz déborde déjà d’idées : « On pourrait imaginer des expositions temporaires, mettant le focus sur les gens qui fréquentaient l’endroit : Georges Clemenceau [exécuteur testamentaire du couple d’Ennery et chargé de la donation à l’État], les frères Goncourt, Marcel Proust… » Une vision audacieuse, pour faire revivre le lieu tout en respectant la scénographie qui en fait le cachet.