La décision de Philippe Douste-Blazy de nommer une commission chargée d’étudier \"les modalités de présentation des arts dits \"primitifs\"\" au Louvre (lire le JdA n° 20, décembre 1995) remet à l’ordre du jour l’avenir du Musée de l’Homme. Ce musée d’ethnographie, longtemps négligé et dépendant du ministère de l’Éducation nationale, doit-il devenir un musée d’art ?
PARIS - Avec ses vitrines poussiéreuses et ses murs décrépis, le Musée de l’Homme n’en demeure pas moins un lieu prestigieux, qui conserve des collections inestimables. Cependant, les "trésors" des cinq continents ont bien du mal à émerger. Même si, au cours des décennies, des efforts ont été réalisés pour faire connaître les collections, les résultats s’avèrent dans l’ensemble assez décevants.
La situation est grave, car si tout le monde reconnaît la nécessité d’un plan d’urgence, aucun projet d’ensemble cohérent n’a abouti jusqu’ici. "La restructuration des salles publiques ne suffit pas, relève Françoise Cousin, chargée du département de Technologie, il faut également élaborer une politique concertée de conservation du patrimoine mondial dont nous avons la charge, c’est-à-dire une rénovation complète des réserves permettant un meilleur accès à l’information".
Outre ses collections, le musée dispose de trois laboratoires de recherche, anthropologie physique, préhistoire et ethnologie. Cette division en fait sa richesse mais également sa faiblesse, car aucune politique globale ne peut être établie. "D’un point de vue administratif, rappelle Bernard Dupaigne, directeur du laboratoire d’ethnologie, le Musée de l’Homme n’est pas un musée, c’est un service, sans directeur, du Muséum national d’histoire naturelle, sous la tutelle du ministère de l’Éducation nationale". "On n’est ni reconnu, ni dirigé, ni subventionné, on nous a un peu oubliés", se plaint-il par ailleurs.
Les chercheurs divisés
L’avenir de l’institution, et son éventuelle évolution vers un "musée d’art", divise les chercheurs. Certains redoutent que sa vocation pluridisciplinaire disparaisse et soulignent qu’il existe déjà à Paris un musée, celui des Arts d’Afrique et d’Océanie, chargé d’exposer les arts primitifs.
"Créer un grand musée d’art primitif dans le cadre du Musée de l’Homme flatterait l’ego occidental. Cependant, on ne peut faire fi de la contextualisation, c’est-à-dire du savoir qu’induit l’exposition de ces objets pour comprendre les gens et la société dans laquelle ils ont été produits", souligne Jean Jamin, épistémologue de l’ethnologie. Ce dernier rejoint ainsi l’analyse de l’anthropologue américaine Sally Price, qui écrivait dans son essai Arts primitifs ; regards civilisés (voir le Jda n° 15, juin 1995) : "(...) La question du statut de l’anthropologie comme science étant devenue moins importante, plus l’étiquetage s’est fait lapidaire, plus le prestige de l’œuvre s’en est trouvé rehaussé".
Ethnologie et esthétique sont-elles antinomiques ? Non. La solution serait de reconsidérer la façon dont les œuvres sont montrées quel que soit leur lieu d’exposition. Certains ethnologues du Musée de l’Homme ne sont pas contre l’entrée de l’art primitif au Louvre mais contre la notion "d’arts premiers", développée par Jacques Kerchache. Cette définition sous-entend un art originel, sans évolution, sans histoire, ce que le travail des ethnologues dément. "Cette notion peut aboutir à un nouvel obscurantisme, un intuitionnisme esthétique à la Bergson", ajoute Jean Jamin.
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Le Musée de l’Homme pris entre ethnologie et esthétique
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°21 du 1 janvier 1996, avec le titre suivant : Le Musée de l’Homme pris entre ethnologie et esthétique