Droit d’auteur

Le Mass MoCA gagne contre Christoph Büchel

Le Journal des Arts

Le 23 octobre 2007 - 959 mots

Le Mass MoCA a poursuivi l’artiste suisse en justice au sujet d’une installation
qu’il a laissée inachevée. Le juge a autorisé le musée à en exposer certaines parties.

NORTH ADAMS, MASSACHUSETTS - Le Massachusetts Museum of Contemporary Art (Mass MoCA), à North Adams (Massachusetts), a entrepris de remballer les matériaux réunis par l’artiste suisse Christoph Büchel pour l’exposition prévue en ces lieux. Cette démarche fait suite à une décision de justice rendue le 21 septembre par un juge fédéral à Springfield, Massachusetts, qui rejette une demande d’injonction de Büchel visant à interdire au musée d’exposer son œuvre inachevée.
Le juge Michael A. Ponsor a estimé que rien dans le système de protection des droits d’auteur aux États-Unis n’empêchait le Mass MoCA – qui a pris en charge les importants frais de production générés par la gigantesque installation –, d’en exposer certaines parties, après que l’artiste l’eut laissée à l’abandon dans les espaces d’exposition temporaire. Le jugement a néanmoins conféré à l’institution la libre décision « d’exercer son droit de commissariat en tenant compte des éléments ». Depuis, le Mass MoCA a décidé « de commencer immédiatement à remballer les éléments sans les exposer au public ». Le musée a également annoncé la tenue d’un colloque cet automne, en partenariat avec le Clark Art Institute (Williamstown, Massachusetts), sur les problèmes soulevés par cette affaire.
Le directeur du musée, Joseph C. Thompson, s’est expliqué sur le recours en justice qu’il a engagé : « Nous tenions évidemment beaucoup à cette œuvre et nous avons fourni de très gros efforts et autant d’énergie pour lui donner vie ; nous n’avions pas envie d’agir avec précipitation, soit pour la démanteler, soit pour l’exposer. » D’après Büchel, qui se réfère au Visual Artists Rights Act de 1990 (VARA, organisme de défense des droits des artistes), autoriser l’accès public à une œuvre considérée comme inachevée par l’artiste va à l’encontre de ses droits, en la déformant contre sa volonté.
Selon le juge, le musée avait réuni et assemblé, à ses frais, de nombreuses pièces pour Büchel, et l’artiste et le musée avaient travaillé en « symbiose » sur l’installation. Dans ces circonstances, l’exposition de cette œuvre inachevée n’était pas une déformation. Le musée se devait toutefois d’informer les visiteurs que l’œuvre « était un projet inachevé qui n’accomplit pas les intentions originelles de l’artiste ».
 
Un juge ému
Ce jugement va faire jurisprudence pour les musées et les artistes qui collaborent sur des installations, lesquelles peuvent évoluer et se modifier au gré de l’avancement du projet. Cette action en justice fait suite à un différend apparu dans les négociations entre le Mass MoCA et Büchel, lequel avait conçu une installation avant-gardiste pour la plus grande galerie du musée. D’après l’artiste, la pièce intitulée Training Ground for Democracy (« Terrain d’entraînement pour la démocratie ») devait évoquer un village, à l’instar de ces lieux factices construits par l’armée américaine pour préparer les soldats aux « situations de conflits de la vraie vie », en Irak ou contre le terrorisme. Mais, après des désaccords sur le financement et l’envergure de l’installation, Büchel a abandonné le projet. Puis, le musée a tenté d’obtenir auprès de la cour l’autorisation de présenter les pièces déjà produites, dans le cadre cette fois d’une exposition axée sur les collaborations avec des artistes. C’est alors que Büchel a fait une demande d’injonction pour l’en empêcher.
L’accès à l’œuvre a été restreint le temps nécessaire à l’arbitrage du conflit, et le juge Ponsor, qui a pu voir l’installation, s’est dit avoir été « extraordinairement ému » lors de sa visite. Les assemblages, présentés dans un espace de plusieurs centaines de mètres carrés, incluaient – selon ses propres termes – des pièces « poussiéreuses et amochées » comme un vieux cinéma, un « espace Saddam avec une copie du trou d’araignée », un van de propagande, une prison, un sniper perché sur une station-service, une épicerie pillée, une voiture de police et un van de hippies, le tout créant « une atmosphère de torture et de désespoir » et « un sentiment bouleversant de gravité ».

Liste de déformations
Pour justifier sa décision, le juge décrit le projet comme « une installation très grande et complexe » qui nécessitait une collaboration fine et « de grande ampleur » entre l’artiste et le musée. L’œuvre était « le produit des intentions et de la vision de nul autre que de M. Büchel », a-t-il ajouté. Le musée a acheté la plupart des matériaux et payé la majeure partie de l’installation de l’œuvre. L’objet du désaccord occupe la grande galerie du musée, rendue de ce fait inutilisable.
Les déformations citées par Büchel comprennent, entre autres, la construction d’un mur en parpaing dont les dimensions n’avaient pas été spécifiées par lui ; l’assemblage incorrect d’un « manège à bombes » ; des changements apportés au « trou d’araignée » – une réplique du trou dans lequel Saddam Hussein a été capturé. Cependant, selon le juge, c’est sous la supervision de l’artiste que les équipes du musée avaient acheté les éléments.
Mark M. Elliott, l’avocat de Büchel, a argué que si un artiste déclare son œuvre inachevée, « alors la présenter au public, contre [s]a volonté, est une déformation ». Mais le juge Ponsor a demandé comment une chose pouvait être déformée avant même d’être créée. L’avocat de Büchel a alors qualifié d’« hérésie totale dans le monde de l’art » la décision prise par le musée sans l’assentiment de l’artiste. « N’est-ce pas faire fi de l’aspect pratique ? », a répliqué le juge, précisant que « M. Büchel se trouvait à 8 000 kilomètres, n’était pas présent », et que « beaucoup des courriels » émis par le musée témoignent de son effort pour mener à bien le projet. Büchel « n’a jamais dit : “Ne touchez pas à mon art” », a ajouté le juge.
L’avocat du Mass MoCA, Kurt Wm. Hemr, a pour sa part relevé l’absence de preuve démontrant que l’institution aurait ici outrepassé son rôle. Quant au VARA, l’organisme n’est pas censé couvrir ce genre de discorde entre les artistes et leurs assistants, a-t-il conclu.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°267 du 19 octobre 2007, avec le titre suivant : Le Mass MoCA gagne contre Christoph Büchel

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