Allemagne - Un Land tente de sauver la collection d’une banque

Le Land de Rhénanie du Nord-Westphalie renonce à vendre sa collection

Dans un complet retournement face aux pressions du monde de l’art, le gouvernement de Rhénanie du Nord-Westphalie souhaite maintenant sécuriser les 400 œuvres de la collection qu’il détient indirectement

Par Isabelle Spicer (Correspondante à Berlin) · Le Journal des Arts

Le 27 janvier 2015 - 1226 mots

En novembre 2014, un casino appartenant indirectement au Land de Rhénanie du Nord-Westphalie avait créé le scandale en vendant deux Andy Warhol de sa collection. Depuis, le Land a chargé une société de services financiers de liquider les actifs de l’une de ses banques, dans lesquels figurent quelque 400 œuvres d'art estimées autour de 150 millions d’euros. Face au tollé, le Land fait machine arrière.

En novembre dernier, la vente de deux œuvres d’Andy Warhol par un casino appartenant indirectement au Land de Rhénanie du Nord-Westphalie (Nordrhein-Westfalen ou NRW) ouvre la boîte de Pandore, avait prédit Olaf Zimmermann, directeur du Conseil culturel allemand. Visiblement, ses prédictions se sont avérées exactes. L’annonce de la vente de la collection d’art par Portigon, une société de services financiers appartenant au même Land, a cependant provoqué une telle indignation que le gouvernement de NRW a été amené à modifier radicalement sa position sur le sujet.

Portigon est le successeur légal de WestLB, une banque commerciale du Land de NRW. Après l’échec des efforts de restructurations, la Commission européenne et l’Allemagne s’étaient mises d’accord en décembre 2011 pour liquider la banque, un fait rarissime. Les actifs toxiques ont été transférés à une société de « défaisance », une « bad bank » [« banque-hôpital »], tandis que Portigon a été créée dans le seul but… de disparaître, et ce, d’ici 2028. Portigon a reçu 4 milliards d’euros pour sa liquidation, provenant environ à moitié de NRW, un tiers de la fédération, mais aussi d’investisseurs publics et privés.

Une collection évaluée entre 100 et 200 M d’euros

La polémique a enflé après la publication d’une interview du P.-D.G. de Portigon, Kai Wilhelm Franzmeyer, le 7 janvier dernier au quotidien Rheinische Post. Il y déclarait qu’il n’y avait pas d’alternative à la vente de la collection d’art de la banque, « en raison des prescriptions de la Commission européenne ». Les actifs de la banque doivent être cédés, et ce, au meilleur prix possible, afin d’honorer les dettes envers les tiers et de récupérer l’argent des investisseurs. Le porte-parole de Portigon nous a indiqué que la collection comportait environ 400 œuvres, dont 150 de grande valeur. La liste des œuvres, qui a été communiquée au gouvernement du Land de NRW est tenue secrète. Mais le portail internet de Portigon fournit quelques indications : y figurent des modernes classiques (August Macke, Gabriele Münter, des lithographies de Picasso), ainsi que des œuvres d’artistes de NRW (Joseph Beuys, Otto Piene, Isa Genzken, Katharina Grosse…). Selon la presse allemande, la valeur de la collection est comprise entre 100 et 200 millions d’euros.
Le P.-D.G. de Portigon livrait par ailleurs des détails sur les modalités de la vente : elle n’interviendrait pas avant un ou deux ans et serait probablement réalisée par vente aux enchères. Les musées du Land pourraient acquérir ces œuvres, à condition de s’aligner sur le meilleur offrant. Pendant la période de transition, les musées de NRW pourraient emprunter les œuvres de la collection, mais devraient prendre en charge les coûts d’assurance et de transport liés au prêt. Dans un entretien à Die Zeit, le P.-D.G. de Portigon a enfoncé le clou en rappelant ses obligations légales : les membres du conseil d’administration, ainsi que lui-même, encourraient des peines de prison si la collection n’était pas vendue au prix du marché.

Tollé parmi les directeurs de musée
La réaction des directeurs de musées de NRW, parmi lesquels Stephan Berg du Musée des beaux-arts de Bonn et Marion Ackermann de la Kunstsammlung NRW, ne s’est pas fait attendre. Dans une lettre ouverte, ils dénoncent une « faillite de la politique culturelle du Land de Rhénanie du Nord-Westphalie ». Par ailleurs, ils estiment la proposition du P.-D.G. de Portigon de prêter les œuvres à une sélection de musées de NRW « particulièrement cynique ». « Nous ne participerons pas à cette action douteuse, nos institutions ne peuvent pas servir de baromètre du marché de l’art ». Ils jugeaient tout aussi cynique la proposition qui leur était faite d’acquérir les œuvres au prix du marché : « C’est, surtout pour des œuvres importantes, complètement inenvisageable au regard de la situation actuelle des prix du marché ». Le Conseil culturel allemand, qui représente 200 associations culturelles appelle le Land de Rhénanie du Nord à réagir. « En sus de la menace d’une perte de biens culturels, c’est la réputation de la politique culturelle du Land qui est en jeu », peut-on lire dans un communiqué. L’Association des historiens de l’art allemands a également vivement condamné la vente dans une lettre ouverte/pétition à la Ministre-Présidente de NRW.

Le mille-feuille fédéral et les désaccords au sein du gouvernement de NRW ont rendu l’affaire d’autant plus complexe, chacun se rejetant la responsabilité. Bruxelles sert souvent de bouc émissaire idéal pour justifier des décisions difficiles. Pourtant, après vérification auprès d’une porte-parole de la Direction générale Concurrence, il s’avère que la Commission européenne n’est aucunement impliquée dans la vente de la collection. Mais la porte-parole précise toutefois que WestLB a reçu d’importantes aides étatiques et qu’en contrepartie l’État allemand s’est engagé à liquider les actifs de son successeur, Portigon, afin de récupérer l’argent des contribuables.

Au niveau fédéral, la ministre fédérale de la Culture allemande, Monika Grütters, a vivement réagi dans un courrier adressé à la ministre de la Culture du Land de NRW. Elle demande la publication de la liste des œuvres afin de vérifier « si elles ont été acquises au moyen de deniers publics ». S’il s’agissait d’œuvres importantes du patrimoine allemand, elles pourraient faire l’objet d’une interdiction d’exportation. La mi-nistre de la Culture de NRW, Ute Schäfer, a pour sa part convoqué le 5 février prochain une table ronde avec les dirigeants de Portigon, afin de décider du sort de la collection.
Mais elle renvoie également la balle à la ministre fédérale, en rappelant que la fédération est également un investisseur de Portigon, à hauteur d’environ un tiers : « La ministre Monika Grütters peut user de son influence au niveau fédéral pour soutenir la table ronde. La table ronde ne se laissera certainement pas dicter une démarche purement économique », nous a déclaré Ute Schäfer. Elle a entamé une procédure de vérification de la collection afin d’éventuellement inscrire certaines œuvres sur la liste des biens culturels protégés, bloquant de facto la vente jusqu’à la fin de la procédure.

Volte-face

Norbert Walter-Borjans, le ministre des Finances du Land de NRW, avait appelé dans un premier temps à ne pas entraver la liquidation de Portigon, et confié qu’il ne laisserait pas la table ronde prendre de décision sur le sort de la collection. Il avait déjà soutenu la vente des deux Warhol par le casino, en affirmant que les entreprises publiques devaient se comporter de manière responsable avec l’argent des contribuables.

Dans un complet retournement de situation, il a finalement dû céder aux pressions. Il a adressé au Parlement du Land un document officiel qui a été débattu le 22 janvier. Il y affirme que le gouvernement du Land, mené par une coalition sociale-démocrateVerts, « fera tout ce qui est en son pouvoir » pour conserver la collection de Portigon en NRW. Il compte désormais sur la table ronde pour trouver une solution légale et financièrement acceptable. Le manque à gagner de la vente devra être restitué à Portigon, ce qui ne doit pas se faire au détriment des contribuables, a-t-il conclu.

Légendes photos

Andy Warhol (1928-1987) - Four Marlons (1966) - 205,7 x 165,1 cm - Adjugé 69 605 000 $ le 12 novembre 2014 chez Christie's New York

Andy Warhol (1928-1987) - Triple Elvis (Ferus Type) (1963) - 208,3 x 175,3 cm - Adjugé 81 925 000 $ le 12 novembre 2014 chez Christie's New York

Courtesy photos Christie's Images Ltd.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°428 du 30 janvier 2015, avec le titre suivant : Le Land de Rhénanie du Nord-Westphalie renonce à vendre sa collection

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque