Restauration

La science au secours de Dunhuang

Le Journal des Arts

Le 5 décembre 2003 - 772 mots

En Chine, une technologie révolutionnaire financée par le Pentagone va permettre de recueillir des informations sur les grottes de Dunhuang.

LONDRES - Une nouvelle technologie développée grâce aux budgets du Pentagone est sur le point d’être utilisée à des fins scientifiques. Initialement prévue pour un usage militaire, cette innovation a pour but de recueillir les informations nécessaires à la conservation des fresques de Dunhuang, dans la province de Gansu, en Chine.
Smartdust (poussière intelligente) désigne des petits ordinateurs mobiles, dotés de senseurs et de transmetteurs radio, connus sous le nom de « grains ». Contrairement aux senseurs conventionnels, ces grains peuvent communiquer entre eux par radio et échanger des informations sur leur localisation et environnement. D’une taille minuscule, le puissant logiciel qu’elles contiennent leur permet d’effectuer des calculs élaborés. Leur faible consommation d’énergie – ils s’éteignent dès qu’ils n’enregistrent pas d’information – les rend aptes à fonctionner pendant des mois avec la même batterie. Le prototype actuel a la taille d’une boîte d’allumettes, mais la version finale ressemblera à un grain de riz. Les applications militaires de Smartdust incluent le repérage des mouvements de tanks, grâce à la dispersion de grains en territoire ennemi.

Grains opérationnels d’ici à l’été 2004
Smartdust est actuellement développé par le professeur Steven Glaser de l’université de Berkeley, en Californie. Parallèlement, Chikaosa Tanimoto, de l’université d’Osaka, au Japon, étudie l’utilisation de Smartdust pour les grottes de Mogao à Dunhuang.
Ces grottes, qui figurent sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1987, forment un ensemble complexe semblable à une ruche, soit un millier de cavernes taillées au cœur d’une falaise dont la moitié est entièrement recouverte de peintures datant du IVe au XVe siècle. Ces peintures constituent une chronique de mille ans d’art chinois et offrent d’extraordinaires visions chinoises de Bouddha.
L’Académie de Dunhuang, qui s’occupe de la conservation de ces grottes depuis cinquante ans, collabore depuis 1988 avec l’Institut de conservation de la Fondation Getty (Getty Conservation Institute, GCI). À la tête du projet du GCI, Neville Agnew nous a confié que « c’est un miracle que ces grottes aient survécu ». La sécheresse du climat désertique y est pour beaucoup, même si coexistent de nombreuses causes de détérioration. À l’inverse des fresques occidentales, réalisées sur du plâtre humide, ces peintures sont plus fragiles car elles ont été réalisées sur un support de boue de rivière et de paille, lequel est contrecollé sur la surface de pierre douce et friable de la falaise. Par ailleurs, le sel de la pierre remonte lentement à la surface à cause de l’humidité naturelle et de la pluie. Ce sel absorbe l’eau et se cristallise à nouveau en petits grumeaux qui entraînent le craquèlement de la peinture. Des pans de mur entiers sont tombés de cette manière, sans compter les dommages causés par le vent, le sable et les inondations occasionnelles.
Ces problèmes se sont aggravés depuis l’ouverture en 1980 des grottes aux visiteurs, dont le nombre s’élève aujourd’hui à 200 000 par an. Ces circulations augmentent le niveau de température et d’humidité. Le dioxyde de carbone de la respiration peut également se dissoudre dans l’eau contenue dans les murs, formant ainsi l’acide fatal aux peintures minérales. De plus, les courants d’air augmentent l’entrée indésirable de sable et de poussière.
La première étape du plan de conservation – le relevé des données susceptibles d’expliquer les causes de la détérioration, et la tentative de conserver une caverne qui date de la dynastie Tang (862-867) – devrait s’achever courant 2004. Ce relevé est l’œuvre d’une équipe pluridisciplinaire qui utilise des capteurs à énergie solaire installés sur la falaise. L’équipe mesure, pour quatre des grottes et entre autres variables, les niveaux d’humidité et de vent, et détermine la présence de sel.
L’introduction des grains facilitera d’une manière considérable le relevé des informations. Neville Agnew nous a expliqué que le nombre de données actuellement enregistrées est important et que « manipuler ces données est un défi ». Les grains vont toutefois analyser eux-mêmes les informations qu’ils enregistrent.
Chikaosa Tanimoto pense que chaque grotte a un microclimat qui lui est propre, lequel est déterminé par sa proximité avec les sources  comme la rivière oasienne voisine. Steven Glaser estime quant à lui que les grains seront opérationnels d’ici à l’été 2004 : « [Ces senseurs] sont virtuellement prêts aujourd’hui, mais il y a forcément de légers contretemps, comme le réglage des fréquences radio. » Les grains ne peuvent malheureusement pas tout faire. Neville Agnew insiste sur le fait que cette technologie représente seulement une partie du projet autour de Dunhuang : « Il ne s’agit pas d’une réparation technologique. Les grains sont seulement des outils. »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°182 du 5 décembre 2003, avec le titre suivant : La science au secours de Dunhuang

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