GIZEH / ÉGYPTE
La décision de reconstituer le parement en granit d’origine d’une des pyramides de Gizeh inquiète la communauté scientifique.
Les autorités égyptiennes ont décidé de restaurer les blocs de granit qui recouvraient autrefois une grande partie de la pyramide de Mykérinos, la plus petite des trois pyramides principales du plateau de Gizeh. Le projet a été fièrement annoncé par Mostafa Waziri, secrétaire général du Conseil suprême des antiquités égyptiennes, dans une vidéo diffusée dimanche 25 janvier sur Facebook et Instagram. Présentée comme « le projet du siècle », la rénovation de la pyramide suscite la polémique sur les réseaux sociaux et au sein même de la communauté scientifique.
L’initiative vient d’un groupe d’experts égyptiens et japonais, sous la direction du Dr Sakuji Yoshimura. Le projet devrait débuter par une année d’étude des blocs, conduite par les partenaires japonais en recourant à la photogrammétrie et au balayage laser. Les travaux sont prévus sur trois ans et consistent à recréer une enveloppe extérieure de granit sur les quatre côtés de la pyramide. Mostafa Waziri assure que cette restauration sera faite à partir des blocs d’origine, enfouis ou dispersés autour de la structure.
Les archéologues seraient chargés de soigneusement déterrer et réinstaller ces blocs qui, selon l’équipe du projet, auraient été déplacés lors d’un tremblement de terre survenu il y a moins de mille ans. Si seules cinq à huit rangées de blocs sont encore en place aujourd’hui dans le bas de la pyramide, les blocs recouvraient à l’origine environ le tiers inférieur de la pyramide (haute de 63 mètres). La pyramide de Mykérinos – construite pour abriter le tombeau du pharaon Mykérinos durant la IVe dynastie (2575-2465 av. J.-C.) – est la seule des trois pyramides principales de Gizeh à être recouverte de plusieurs niveaux de granit d’Assouan.
Le projet provoque l’indignation sur les réseaux sociaux. De nombreux commentateurs réagissent avec sarcasme à la vidéo de Waziri, comparant cette décision à celle de « redresser la Tour de Pise » ou d’apposer du « carrelage » sur la pyramide.
De nombreux chercheurs se montrent tout aussi sceptiques et tirent la sonnette d’alarme. Ibrahim Mohamed Badr, professeur du département de restauration et de conservation des antiquités de la Misr University for Science & Technology de Gizeh, doute notamment de la position d’origine des pierres – souvent non polies – que l’équipe compte poser. « Les anciens Égyptiens auraient poli les blocs au moment de les installer dans la pyramide elle-même » explique-t-il. « Toute tentative de les fixer et de les polir constituerait une ingérence flagrante dans le travail des anciens Égyptiens, qui n’ont pas achevé cette pyramide », rapporte le New York Times.
L’égyptologue Monica Hanna remet elle aussi en question le bien-fondé de cette restauration, qu’elle considère comme une grave altération du monument inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. « Quand allons-nous arrêter l’absurdité dans la gestion du patrimoine égyptien ? » s’indigne-t-elle, ajoutant que « tous les principes internationaux en matière de rénovation interdisent de telles interventions ». Le projet enfreindrait plusieurs principes de la Charte de Venise signée en 1964, qui fournit un cadre international pour la restauration, la conservation et l’entretien des monuments et sites archéologiques. La charte stipule notamment que la restauration doit « se fonder sur le respect des matériaux originaux et des documents authentiques, et doit s’arrêter là où commencent les interrogations ».
De nombreuses critiques remettent également en question la pertinence d’un projet aussi coûteux compte tenu de la crise économique persistante en Égypte, qui voit l’inflation et la dette monter en flèche. Mostafa Waziri n’a donné aucune indication quant au budget du projet, mais affirme que la première étape sera entièrement financée par les partenaires japonais D’autres chercheurs tiennent des propos plus nuancés, tout en insistant sur la nécessité d’analyses approfondies avant restauration. Salima Ikram, professeure d’égyptologie à l’Université américaine du Caire, déclare à l’Independant Arabia que « l’idée de recouvrir la pyramide avec les pierres qui en sont tombées peut être acceptable, à condition que l’on s’appuie entièrement sur les pierres trouvées dans son environnement, sans aucun ajout ».
Le patrimoine ancien égyptien est souvent mis à mal. Le centre d’art du Vieux Caire a récemment été détruit pour élargir une voie rapide, tout comme des centaines de tombes de la Cité des morts – la plus grande et ancienne nécropole du monde musulman – pour construire une autoroute. En janvier 2024, les critiques se cristallisent autour de la restauration de la mosquée Abu-el-Abbas el-Mursi d'Alexandrie, un monument du XVe siècle dont les plafonds sculptés et colorés ont été repeints en blanc.
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La restauration controversée de la pyramide de Mykérinos
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