PARIS
La technologie 3D est devenue un outil indispensable pour l’étude des grottes ornées de la préhistoire, trop fragiles pour accueillir en nombre scientifiques et visiteurs. Le fac-similé physique de la grotte Chauvet inauguré à la fin du mois d’avril est accompagné d’outils numériques de plus en plus bluffants. En attendant l’ère du tout-virtuel.
La 3D est à l’origine de tout maintenant, elle est devenue incontournable », explique Gilles Tosello, préhistorien et artiste peintre qui a réalisé les panneaux ornés de la réplique de la grotte Chauvet. Sortie de terre sur les hauteurs de Vallon-Pont-d’Arc en Ardèche, la construction de la réplique a été permise par une technologie 3D de plus en plus performante, présente également dans la création de Lascaux IV, en Dordogne, qui verra le jour au printemps 2016. La 3D, qui va du scan au laser du site jusqu’à la création de modèles tridimensionnels sur ordinateur, a envahi les champs de la conservation, de la recherche et de la médiation s’agissant des sites préhistoriques ornés. Patrimoine fragile, les grottes et les abris sous roche dans une moindre mesure ont été peu à peu fermés au public et leur accès largement restreint pour les chercheurs.
La grotte Chauvet, une réplique anamorphosée
La leçon de la grotte Lascaux a été bien retenue. En 1962, année de fermeture définitive du site, on comptait jusqu’à 100 000 visiteurs par an. Résultat, la formation de calcite et la prolifération des algues et de mousses menacent encore les chefs-d’œuvre réalisés sur les parois par les hommes du paléolithique, il y a environ 20 000 ans. Même problème au nord de l’Espagne où la grotte d’Altamira connaissait un succès plus franc encore jusqu’à une première fermeture en 1977 avec plus de 160 000 visiteurs annuels. Mais dès lors, comment continuer d’admirer ces sites sans y mettre un pied ? La première réponse apportée est la construction d’une réplique physique. Une idée pas si nouvelle puisqu’elle émerge il y a plus d’un siècle, mais qui a vu sa réalisation et ses ambitions bouleversées par l’innovation technologique.
Tout commence par un premier scan laser complet du site afin de créer une base de données unique, plus ou moins précise selon l’intérêt des parois, qui sera complétée selon les besoins et les financements. Le résultat est un nuage de points qui acquiert peu à peu l’aspect d’une grotte par la phase de « texturage », grâce à laquelle les parois et la matière naturelle apparaissent. Enfin, les dessins et gravures, pris en photographies numériques de manière à correspondre au scan laser, sont posés sur le modèle numérique. On obtient alors un modèle numérique de terrain qui peut être décliné sans limite selon les besoins de la conservation, de la recherche et de la réalisation de répliques grandeur nature… ou presque.
Car, en réalité, la Caverne du Pont-d’Arc, appellation officielle de la réplique de la grotte Chauvet, est une anamorphose du site originel : ses 8 500 m2 ont été compactés en 3 000 m2 réunissant la majorité des chefs-d’œuvre datant de 36 000 ans environ. Cela a été rendu possible grâce à cette base de données numériques tridimensionnelles dans laquelle ont été sélectionnés des morceaux choisis pour recréer entièrement une nouvelle grotte. Si les reliefs des parois ainsi que les dessins sont identiques, l’espace de circulation ne l’est donc pas en revanche. « La base de données a permis ensuite la fabrication des panneaux puisqu’il s’agit de données précises à partir desquelles on peut utiliser une fraiseuse numérique », poursuit le préhistorien peintre. Une immense cage métallique a été construite sur laquelle du mortier paysager a été projeté pour donner l’aspect de la paroi naturelle.
L’artiste faussaire pour rendre sensible le numérique
La 3D a ensuite laissé place à la main des artistes qui ont pris le relais du numérique pour affiner les parois, visibles du public, et réaliser les dessins. « La main apporte une sensibilité, de la vie et une grande animation à cet art du geste. Nous avions deux choix au moment de la réalisation de la réplique : celui du copiste ou celui du faussaire. Soit on reproduisait parfaitement pixel par pixel le dessin du modèle 3D projeté sur la paroi, mais on perdait à mon sens son énergie [un choix qui a été fait en revanche pour Lascaux IV]. La démarche du faussaire au contraire est, bien sûr de rester fidèle au dessin, mais surtout de l’analyser puis de le refaire dans l’esprit de l’original. Le modèle 3D est projeté sur les reliefs blancs vierges, ce qui m’a permis de décalquer les figures au crayon papier. Puis nous avons coupé la projection pour réaliser les dessins à partir de photographies en 2D. Si l’on achève bien la réplique à la main, nous avons néanmoins absolument besoin des données numériques au départ pour avoir une restitution précise. »
Cette précision de l’outil numérique est de plus en plus impressionnante au fil des années. Un premier scan laser de la grotte de Lascaux est réalisé en 2003 avec des outils de pointe à l’époque : la vitesse d’acquisition du modèle numérique était de 80 points à la seconde et les images avaient une définition de 6,5 millions de pixels. Dix ans plus tard, en 2013, un second scan est réalisé en vue de la construction de la réplique Lascaux IV : la vitesse d’acquisition est alors de 500 000 points par seconde et les 6 000 photographies ont désormais une définition de 25 à 35 millions de pixels, ce qui permet un zoom de très haute qualité. Le nuage de points reproduisant la grotte de Lascaux compte en tout 16 milliards de points. Pour le public, de tels outils permettent de pallier les limites de la restitution physique en proposant différents scénarios de visites.
La 3D pour une nouvelle expérience de visite immersive
« Ce que ne permet pas le fac-similé physique est possible avec les outils numériques », souligne Muriel Mauriac, conservatrice de la grotte de Lascaux. Notamment pour donner à voir aux visiteurs les parties difficiles à restituer matériellement, autant pour des raisons techniques que financières. À Lascaux IV, la Salle du Puits ne sera pas reconstituée puisqu’elle est située dans la grotte originale dans un réseau inférieur à 6 m en dessous du réseau supérieur et dans laquelle on accède par une échelle. À Chauvet, le rendu des dimensions exceptionnelles de certaines parties de la grotte comme celle de la Salle des Bauges (50 m de large et 75 m de long) est uniquement possible par la réalité virtuelle. Mais ce ne sont pas les seules applications de la 3D. Elle permet également de proposer plusieurs scénarios de visites que ne peut offrir une réplique physique construite une fois pour toutes. « Le souhait que nous avions d’offrir au public la vision la plus complète de ce qu’est la grotte de Lascaux nous a conduits à envisager un autre mode de visite, un mode immersif grâce aux nouvelles technologies, une visite 3D. Le fac-similé physique sera une copie la plus fidèle possible de la grotte dans son état actuel, avec les aménagements qui avaient été faits pour l’accueil du public jusqu’en 1963. En revanche, nous travaillons pour le film 3D à une alternative avec une restitution virtuelle des sols d’origine. Ainsi le visiteur déambulera-t-il dans une grotte au plafond bas, dans laquelle on entrait accroupi. Il se rendra compte que les hommes de Lascaux étaient assis en tailleur et levaient simplement le bras pour dessiner sur la voûte. Le rapport d’échelle est complètement différent. » De même pour le cours d’eau qui circulait autrefois dans la grotte qui pourra être rendu dans la visite virtuelle, et non dans le fac-similé. « Grâce au virtuel, on peut également envisager de compléter et nourrir le film au fur et à mesure des découvertes à venir. »
À la Neocueva, le nom de la réplique de la grotte d’Altamira ouverte en 2000, le choix a été fait de reconstituer au contraire le site du temps du paléolithique supérieur, il y a environ 14 000 ans. C’est-à-dire avant l’effondrement de la zone d’entrée puis des éboulements récents qui ont entraîné la mise en place de murs de soutènement, défigurant la grotte connue des hommes qui y ont peint les célèbres bisons. Son espace originel a donc été reconstitué sur un modèle 3D à partir d’un relevé topographique et d’une connaissance géologique de l’histoire de la grotte.
Vers le tout-virtuel ?
Le film 3D permet de pousser plus loin encore les hypothèses. Pour la grotte de Marsoulas, située en Haute-Garonne, la restitution virtuelle a non seulement été débarrassée des dégradations modernes, mais les figures effacées ont été recréées par clonage de dessins similaires de la même grotte. Le trait est blanc comme fraîchement gravé dans le calcaire de la roche, le rouge a également retrouvé de sa vivacité. « Nous avons été surpris par la vigueur des couleurs, par le contraste entre les rouges et les noirs qui nous montrent l’art de Marsoulas sous un jour inhabituel, à peine crédible pour qui voit le site aujourd’hui ; et pourtant, lorsque les couleurs étaient encore humides, les contours fraîchement gravés, il est probable que les fresques étaient aussi éclatantes que sur les images en 3D », concluent ingénieurs, artistes et scientifiques qui ont élaboré ce film dont des extraits sont visibles en ligne.
Ne peut-on pas dès lors envisager une visite uniquement virtuelle des grottes, au vu des possibilités infinies de la 3D ? « Le choix d’une réplique est un débat constant. Pour Chauvet, nous recherchions d’abord l’émotion, la prise en compte de toutes ses dimensions. La meilleure façon de rendre la grotte Chauvet est ce biais matériel, pour que le public puisse mesurer à l’échelle 1. Mais c’est une vraie question », explique Geneviève Pinçon, directrice du Centre national de la préhistoire et membre du comité scientifique de la grotte ornée du Pont-d’Arc. Pour Muriel Mauriac, la réplique physique paraît encore indispensable : « On y sent le geste de l’artiste. On ne perçoit pas non plus la matière de la même manière dans le virtuel… Pour le moment. Peut-être que dans dix ou vingt ans, on sera totalement subjugué par la 3D. » La transition se fera-t-elle par les imprimantes 3D qui produiront des répliques de grottes et de monuments en série ? « Dans mes moments de déprime, je pense que c’est ce qui se produira à l’avenir. Jusqu’à présent nous butions sur les questions d’échelle. Mais nous voyons déjà ce qui se passe du côté de ces imprimantes qui peuvent réaliser des maisons, construire avec des matières différentes. Est-ce qu’il y aura un jour un vrai marché pour les fac-similés de grottes et plus largement de monuments ? Peut-être, car l’industrie du tourisme grandit. Les Chinois voudront certainement avoir chez eux un jour une réplique de la grotte Lascaux ou de Chauvet ! » conclut avec amertume Gilles Tosello.
18 décembre 1994
Découverte de la grotte ornée du Pont-d’Arc, dite grotte Chauvet
13 octobre 1995
Classement au titre des Monuments historiques
1997
L’État devient propriétaire du site.
Octobre 2012
Pose de la première pierre de la réplique Caverne du Pont-d’Arc
2014
La grotte Chauvet est inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco
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La Préhistoire en 3D, comme si vous y étiez
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Abonnez-vous dès 1 €Ouverture le 25 avril. Montée du Razal à Vallon Pont-d’Arc (07). Avril, mai, juin et septembre : ouverte de 10 h à 19 h. Juillet et août : de 9 h à 20 h 30. Tarifs : 13 et 6,5 €.
www.cavernedupontdarc.org
« Lascaux à Paris »
du 20 mai au 30 août. Paris Expo,
Porte de Versailles, Pavillon 8/B.
Tarifs : 15,9 et 12,9 €.
www.lascaux-expo.fr
Pedro Lima, Chauvet-Pont-d’Arc. Le premier chef-d’oeuvre de l’humanité révélé par la 3D, éditions Synops, 205 p., 34,90 €.
Légende Photo :
Installation de la concrétion du mammouth réalisée par Phénomènes dans leur atelier parisien. Conception : Campenon Bernard Régions/Scène/Sycpa. © Photo : SYCPA /Sébastien Gayet.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°679 du 1 mai 2015, avec le titre suivant : La Préhistoire en 3D, comme si vous y étiez