LONDRES / ROYAUME-UNI
La nouvelle directrice de la Tate Modern détaille sa position et sa stratégie sur les nouveaux enjeux muséaux, tournés en particulier vers les artistes contemporains issus de communautés indigènes.

Née au Danemark en 1974, Karin Hindsbo est directrice de la Tate Modern depuis septembre 2023. Elle a été directrice du Musée national d’Oslo (Norvège) de 2017 à 2023, une institution créée sous sa supervision et réunissant l’ancienne Galerie nationale, le Musée des arts décoratifs et du design, le Musée d’art contemporain ainsi que le Musée d’architecture. Elle a aussi dirigé différentes institutions en Norvège et au Danemark et été chargée de cours à l’Institut d’art et d’études culturelles de l’université de Copenhague.
C’est une institution extraordinaire, qui a un large champ d’action. Mais l’inattendu fait partie du secteur et je m’étais préparée avant d’entrer dans ce musée que je connaissais déjà bien… En revanche, la surprise a été plutôt d’ordre culturel. J’ai dû m’habituer à la manière britannique de travailler, plus diplomate… On me conseille assez souvent de « britishiser » mes messages ! En Scandinavie, nous sommes beaucoup plus directs.
Le musée a toujours été pionnier dans sa façon de diversifier les canons de l’art, centrés sur l’Occident. Aujourd’hui, nous continuons de travailler en ce sens, au niveau transnational. Nous avons par exemple lancé un programme de quatre ans pour améliorer la représentation de l’art indigène [issu de communautés implantées dans différents pays avant toute colonisation occidentale, ndlr] dans nos collections. À partir du mois de juillet, nous consacrerons une grande exposition à l’étonnante artiste autochtone Emily Kngwarreye [Australie, 1910-1996]. L’objectif est de montrer comment l’abstraction, par exemple, se développe au sein des communautés aborigènes. Nous travaillons également sur le transfert de connaissances au sein de ces communautés, plus direct et personnel que dans une approche plus académique. L’idée sera aussi de montrer comment ces pratiques explorent les thèmes liés aux changements climatiques, à la biodiversité, et comment l’art peut être inspiré par ces questions.
En tant que musée, si notre devoir est de protéger les œuvres, nous pouvons aussi mettre en lumière cette cause. C’est ce que nous ferons à travers l’exposition « Gathering Ground » [du 29 janvier 2025 au 4 janvier 2026], qui compte par exemple des artistes comme Outi Pieski, une femme Sami de Finlande dont les œuvres ont été acquises grâce à ce fonds indigène. Mais si cette cause m’est sympathique, je m’oppose aux méthodes des activistes et nous suivons cela de près même si je ne peux pas entrer dans le détail de nos mesures de sécurité. Si la situation devient plus alarmante, nous modifierons nos procédures en conséquence.
Je pense qu’il faut adapter les acquisitions au monde dans lequel nous vivons. Pour notre fonds indigène, acquérir de l’art requiert d’autres exigences car ce type d’art est généralement produit par une communauté et il faut prendre cet élément en compte. L’acquisition devrait peut-être prendre la forme d’un prêt ou d’un accord avec cette communauté. Le principe des acquisitions conjointes est une façon de contourner le problème de propriété. C’est ce que nous avons fait, avec l’Australie et le gouvernement australien, pour l’acquisition d’œuvres d’Archie Moore.
Au Royaume-Uni, nous avons tout de même quatre antennes. Mais dans notre approche de l’international, nous avons toujours privilégié les partenariats et les collaborations, comme avec l’Australie, plutôt que le développement en franchise. Nous avons des conservateurs adjoints dans le monde entier. Nous avons un centre de recherche transnational, des conférences transnationales et nous accordons des prêts de grande importance. Toutes ces actions nous permettent d’attirer environ un million de visiteurs supplémentaires par an.
Nous sommes revenus aux chiffres prépandémiques pour nos expositions payantes, mais pas pour les expositions gratuites. Au cours des prochaines années, j’aimerais dépasser les 5 millions de visiteurs pour essayer de nous rapprocher de l’avant-Covid. Mais il s’agira d’un public quelque peu différent car nous avons des visiteurs beaucoup plus locaux qu’auparavant, basés à Londres ou au Royaume-Uni. Pour cette raison, la diversification est inscrite dans notre stratégie. Nous nous efforçons d’attirer les jeunes publics et les familles, comme avec le programme « Uniqlo Tate Play », qui encourage la participation active des visiteurs.
Je sais que l’intention n’est pas de tout fermer et qu’il y aura un certain nombre d’expositions importantes qui se tiendront ailleurs. J’ai donc hâte de voir comment le musée va profiter de cette occasion pour montrer sa collection sous de nouvelles formes et avec de nouveaux partenaires ! Nous collaborons de façon très étroite avec cette institution que nous considérons comme notre grande sœur et nous continuerons tout au long de cette période.
Le Royaume-Uni se trouve actuellement dans une situation financière difficile, le gouvernement travaille dans ce cadre. Dans le budget de l’automne, il a été question d’une augmentation de la subvention accordée aux musées, mais nous ne savons pas à combien celle-ci s’élèvera. De nombreux musées britanniques souffrent à cause du Brexit, de la pandémie de Covid-19 et de l’inflation en général. Le gouvernement a aussi montré un intérêt pour le lien entre art et éducation, ce qui me tient à cœur. Nous verrons ce qu’il en adviendra au cours des prochaines années.
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La directrice de la Tate Modern explique ses choix dans le JdA
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°647 du 17 janvier 2025, avec le titre suivant : Karin Hindsbo, directrice de la Tate Modern, Londres : « Nous nous efforçons d’attirer les jeunes publics et les familles »