L’archéologie chinoise ne cesse de livrer ses trésors. Appartenant à la dynastie des Han, quelques-unes de ces pièces admirables ont quitté pour la première fois leur pays pour être exposées à Paris.
L'anecdote est devenue célèbre… Au cœur de la province du Shaanxi, à quelque 35 kilomètres de la ville de Xi’an, la pioche d’un paysan chargé de creuser un puits allait heurter, le 29 mars 1974, le sommet d’une construction souterraine jonchée de débris en terre cuite. Sous l’œil ébahi des archéologues dépêchés sur place, des milliers de guerriers grandeur nature devaient bientôt surgir des anfractuosités du sol, sentinelles fantômes d’un passé englouti. Deux années plus tard, trois nouvelles fosses venaient s’ajouter à la première, dévoilant au public ébahi cette armée des ombres rangée en ordre de bataille et continuant, par-delà les siècles, de protéger l’empereur Qin Shi Huangdi dans son long séjour dans l’Au-delà… Si les photos de la « Grande Fouille » ont fait désormais le tour du monde, force est de constater que cet événement considérable n’est pourtant que « l’arbre » qui cache les nombreux autres chantiers archéologiques. Il suffit, pour s’en convaincre, de visiter l’un de ces innombrables « musées de site » qui ont fleuri sur le sol chinois, vitrines culturelles d’un État tiraillé, de façon schizophrénique, entre modernisation galopante et quête obsessionnelle des origines…
L’art festif et funéraire des Han
À quelque trois heures de route de Pékin, on atteint ainsi la ville de Mancheng, au cœur de la province du Hebei. L’ambiance est surréelle, oscillant entre paysages industriels d’apocalypse et site naturel d’une altière beauté. C’est non sans avoir emprunté avec une certaine appréhension un téléphérique aux allures désuètes que l’on atteint la célèbre falaise rocheuse où ont été découvertes, en 1968, les tombes jumelles de Liu Sheng, le neuvième fils de l’empereur Jingdi (mort en 113 avant notre ère) et de son épouse Dou Wan (morte en 104). Conçues selon un plan axial, ces « demeures d’Éternité » étaient calquées sur les somptueux palais du monde terrestre et reproduisaient fidèlement la vie de leurs propriétaires. Entourés d’une kyrielle d’objets d’un luxe inouï (vases incrustés de fils d’or et d’argent, vaisselle de table, lampes et brûle-parfum de prestige…), les deux défunts reposaient dans des cercueils laqués, revêtus d’un « linceul de jade » censé protéger leurs dépouilles des attaques du temps. « Il fallait environ une dizaine d’années pour réaliser de tels costumes funéraires composés de plus de deux mille petites plaquettes cousues entre elles par des fils d’or aussi fins qu’un cheveu », nous explique Éric Lefebvre, qui assure le commissariat de l’exposition consacrée aux Han au Musée Guimet. Si de grossières copies ont remplacé, sur place, les originaux, il faut se rendre impérativement à Shijiazhuang, la capitale de la province du Hebei, pour admirer le somptueux matériel funéraire des deux tombes. Soit près de 2 800 objets qui reflètent la société particulièrement raffinée, humaniste et ouverte sur le monde qu’était la dynastie des empereurs Han, qui régnèrent sur la Chine de 206 avant notre ère à 220 apr. J.-C.
Ainsi, comment rester insensible face à ces assemblées de mingqi (statuettes funéraires) dont la sobriété des poses et la douce retenue des visages sont aux antipodes du rictus figé des soldats de l’empereur Qin Shi Huangdi ! « Pour les Han pénétrés de pensée confucianiste, la pratique des sacrifices n’était plus jugée nécessaire, on leur préférait des substituts de terre cuite », explique ainsi Éric Lefebvre qui n’hésite pas à parler de véritable « humanisme » à propos de cet âge d’or de près de quatre siècles. En témoigne cette admirable lampe épousant la silhouette d’une petite servante qui est passée entre les mains de trois personnes de la Cour, avant de se retrouver dans la tombe de Dou Wan. Preuve tangible, qu’en dépit de leur caractère luxueux, ces objets étaient utilisés par leurs propriétaires avant de rejoindre leur dernière demeure…
Mais c’est peut-être dans l’art festif et funéraire du banquet que l’art des Han a atteint son plus grand degré de perfection ! « On y festoyait, on y buvait de la bière, en général une fois le repas consommé, en écoutant des musiciens qui eux-mêmes pouvaient accompagner des danseurs et des bateleurs », écrit ainsi dans le catalogue la sinologue Michèle Pirazzoli-t’Serstevens. Tout un petit monde d’acrobates, de jongleurs et de clowns facétieux, mais aussi de danseuses esquissant avec leurs longues manches d’exquises chorégraphies, restitue, avec poésie, ces agapes joyeuses aux allures de bacchanales. S’y glissait même parfois l’un de ces baladins venus d’Asie centrale, apportant une touche d’exotisme, voire de grotesque…
Une vision faussée de la dynastie des Han
Car loin d’être recroquevillé sur lui-même, l’âge d’or des Han était un monde bigarré et cosmopolite. Ses empereurs nouaient ainsi des contacts avec les peuples nomades des steppes, ces fiers Xiongnu dont ils redoutaient les incursions assassines mais dont ils convoitaient les admirables bijoux : paire de poids de nattes épousant la forme de félins aux yeux incrustés de pierres précieuses, somptueuses boucles de ceinture en or sur lesquelles grouille un bestiaire foisonnant, plaque en argent épousant la silhouette d’un tigre prêt à bondir… « Nombre de ces populations ont par ailleurs servi d’intermédiaires, de passeurs culturels entre la Chine et le vaste monde extérieur », surenchérit Michèle Pirazzoli-t’Serstevens, évoquant par là même les liens tissés entre les Han et les empereurs romains, leurs exacts contemporains… Et l’on se prend à rêver, face à ce fragment de tissu orné d’un beau visage au profil grec, à ce brassage de peuples ponctuant ce long ruban terrestre envahi de brigands, de marchands et de pèlerins qu’était la route de la soie…
Point de hasard si les plus grands sinologues et archéologues ont porté aux nues le règne des empereurs Han, administrateurs, diplomates et économistes de génie ! Tout en unifiant, centralisant et régulant leur vaste territoire, ces fins stratèges dessinaient des routes commerciales avec l’Inde et l’Asie du Sud-Est, échangeaient leurs produits de luxe (soie, vaisselle de laque et miroirs de bronze) contre des parures en agate et en cornaline, des aromates et des épices, des cornes de rhinocéros et de l’écaille de tortue, voire même des tambours et des armes appartenant à l’ancestrale culture de Dông Son ! Ne nous y trompons pas, cependant. Ces pièces somptueuses arrachées à la pénombre des tombes que nous admirons dans les musées ne reflètent qu’une infime partie de la population Han : celle des élites princières, des vassaux et des chefs de province enrichis par les impôts que levaient leurs administrateurs. Face à ces lourdes vaisselles de bronze et ces parures d’un luxe ostentatoire, on sent ainsi vrombir les intrigues et les trahisons, dans une ambiance délétère pas si éloignée de la Rome sanguinaire de Caligula ou de Néron…
Dans les petits musées de site, l’âme éternelle des Han
C’est peut-être dans le petit musée de site de Yangling, à une vingtaine de kilomètres au nord de Xi’an, que l’on sent le mieux palpiter l’âme éternelle du peuple Han. Dans un dispositif scénique particulièrement émouvant, on découvre, quasi intacte sous une paroi vitrée, la tombe de l’empereur Jingdi et de son épouse, entourés de leur armée miniature de serviteurs et d’animaux. Ici, une jeune servante est assise sur les talons, les mains jointes à l’intérieur de ses manches, le corps quelque peu engoncé dans sa superposition de robes et de manteaux. Son visage en partie dissimulé trahit une pudeur et une intériorité, si caractéristiques de la statuaire Han. Ces qualités mêmes qu’admirait tant l’écrivain français Victor Segalen… Là, ce sont de curieuses statuettes de cavaliers aux jambes dessinant un arc de cercle : leurs chevaux de bois n’ont hélas pas résisté aux épreuves du temps. Initialement revêtue d’un vêtement en tissu, cette figure d’eunuque nous rappelle, quant à elle, cette terrible coutume qui perdura jusqu’au renversement de la dernière dynastie des Qing, en 1912. Enfin, saisissants de vie et de fraîcheur, des troupeaux de porcs, de moutons ou de bœufs miniatures ferment la marche du cortège funèbre.
Mais s’il est des animaux qui cristallisaient toutes les convoitises, ce sont bien les fougueux « coursiers volants » du Ferghana (l’actuel Ouzbékistan) que les empereurs Han acquéraient à prix d’or, tant ces montures altières s’avéraient essentielles pour leurs expéditions guerrières. « Par les mêmes réseaux, des animaux, des plantes et des produits d’Asie centrale et des steppes du Nord furent acclimatés en Chine tout au long de la dynastie. Furent diffusés aussi des techniques, des formes artistiques, des partis pris iconographiques, des matières précieuses et naturellement, à partir du Ier siècle de notre ère, une religion nouvelle, le bouddhisme », résume magnifiquement l’historienne Michèle Pirazzoli-t’Serstevens. Du confucianisme à la parole du Bienheureux, il n’y aura qu’un pas, que franchiront allègrement les successeurs des Han, dont les flamboyants Tang (618-907). Mais cela est une autre histoire…
221 à 206 av. J.-C. Dynastie Qin, règne de l’empereur Qin Shi Huangdi
206 av. à 220 apr. J.-C. Dynastie des Han
1860 Sac du palais d’Été de Pékin
1912 Chute du dernier empereur Qing
1956 Début de l’exploration archéologique de Chang’an, la première capitale des Han, près de Xi’an, dont il ne reste que de maigres vestiges
1968 Découverte, à Mancheng, des deux tombes de Liu Sheng et de Dou Wan
1974 Découverte de l’armée en terre cuite de Qin Shi Huangdi
1997 Découverte de la tombe satellite du mausolée de l’empereur Jingdi, près de Xi’an
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
À la découverte des trésors cachés de la Chine ancienne
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €« Splendeurs des Han, Essor de l’Empire céleste », jusqu’au 1er mars 2015. Musée national des arts asiatiques-Guimet, 6, place d’Iéna, Paris-16e. Tous les jours sauf le mardi, de 10h à 18h. Tarifs : 7,50 et 5,50 €. Commissaires : Éric Lefebvre, Huei-Chung Tsao, Zhao Gushan et Dai Penglun. www.guimet.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°676 du 1 février 2015, avec le titre suivant : A la découverte des trésors cachés de la Chine ancienne