Depuis l’ouverture de la fondation Helmut Newton en juin dernier, Berlin semble vouloir s’affirmer comme une nouvelle place de l’art contemporain.
Mais cette fois-ci, beaucoup auraient sans doute préféré que l’inauguration de l’exposition de la prestigieuse collection de Friedrich Christian Flick, qui a eu lieu le 21 septembre au musée d’Art contemporain du Hamburger Bahnhof, passe davantage inaperçue. Et pour cause. Si le panel d’œuvres et d’artistes est des plus séduisants (quelque deux mille cinq cents œuvres au total, représentant près de cent cinquante artistes), l’histoire retiendra surtout que son propriétaire n’est autre que le petit-fils et héritier de Friedrich Flick (1882-1972), un tristement célèbre marchand d’armes nazi, ami de Himmler, et condamné à sept ans d’emprisonnement lors du procès de Nuremberg, en 1947. Quelques années après sa libération, Flick parvint à reconstituer une fortune colossale, laissant à ses descendants cet héritage décidément lourd à porter. Contrairement à ses frères et sœurs, Friedrich Christian n’a toutefois jamais souhaité faire d’amalgame entre sa fortune et l’histoire familiale. Il a ainsi toujours refusé de verser le moindre mark au fonds d’indemnisation pour les travailleurs forcés que son grand-père aurait pourtant exploités par dizaines de milliers. Et pour ternir davantage son image, Flick a choisi, au début des années 1990, de s’installer à Zurich, bénéficiant pour sa fortune, une des plus grosses d’Allemagne, de l’avantageux régime fiscal suisse. Autant d’éléments ne pouvaient que nourrir un sentiment de malaise autour de l’exposition de sa collection, pourtant inaugurée par le chancelier Gerhard Schröder. Si la journée de vernissage s’est déroulée dans le calme – animée simplement par une distribution de tracts réclamant la gratuité de l’entrée pour les anciens travailleurs forcés –, dès le lendemain, deux œuvres de l’Américain Gordon Matta-Clark étaient vandalisées par un visiteur, prétendant ainsi laver l’affront.
Le choix d’accueillir cette collection, aussi prestigieuse soit-elle par sa qualité, demeure donc un sujet d’interrogation pour les Berlinois. Mais pour le Hamburger Bahnhof, l’opération est intéressante à plus d’un titre. N’ayant jusqu’alors pas la capacité de rivaliser avec ses homologues londoniens, parisiens et new-yorkais, ce jeune musée – créé en 1996 dans une ancienne gare de la ville – se trouve subitement propulsé, et ce pour les sept années de prêt de Flick, au rang des plus riches musées. Il s’est même vu doté par la même occasion d’une annexe de 10 000 m2, logée dans les Rieckhallen, ces anciens entrepôts de chemin de fer situés à l’arrière du musée, dont les travaux ont été entièrement financés par le collectionneur. C’est là que sera exposée la collection après la fin de cette présentation inaugurale, qui occupe la totalité du musée. Le soutien des autorités berlinoises et fédérales reste toutefois ambigu. La collection avait en effet jusqu’alors été refusée par plusieurs villes : à Zurich, où Flick caressait le projet de faire construire un musée (commandé à Rem Koolhaas), puis à Strasbourg et à Dresde. Le récent soutien de la communauté juive et notamment du marchand d’art Hans Berggruen et du directeur du Musée juif, Michael Blumenthal, auraient pesé dans la balance.
Au-delà de la controverse, restent les quelque deux mille cinq cents œuvres réunies avec démesure par l’héritier. Seules quatre cent cinquante pièces ont pu être exposées dans le cadre de cette présentation inaugurale, l’intégralité de la collection étant vouée à être montrée par roulement, au rythme de deux expositions par an. Les artistes représentés constituent un panorama unique de la création de la seconde moitié du XXe siècle, des « classiques » comme Duchamp, Mondrian, Giacometti, Picabia, à l’avant-garde, avec Nam June Paik, Dan Graham, Andreas Gursky, Jeff Wall, Cindy Sherman ou Pipilotti Rist. Dans le hall central du musée, sous les charpentes métalliques, les deux Américains Paul McCarthy et Jason Rhoades sont à l’honneur. Mais c’est sans conteste Bruce Nauman – artiste de prédilection de Flick – qui tient la vedette. Une centaine de ses œuvres, explorant le thème de la peur et de la souffrance humaine, y sont en effet réunies.
Collection Flick, BERLIN (Allemagne), musée d’Art contemporain Hamburger Bahnhof, Invalidenstrasse 50-51, tél. 49 30 39 78 34 11, www.hamburgerbahnhof.de, jusqu’au 23 janvier. Catalogue complet de la collection en allemand et en anglais.
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La collection de la controverse
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°563 du 1 novembre 2004, avec le titre suivant : La collection de la controverse