PÉRIGNY-SUR-YERRES
Qu’importe la sonnette, Monsieur Sachy est au parc pour chasser les feuilles mortes. Comme il ne répond pas, on décroche de la sente des Vaux pour suivre, au long d’une pente tapissée par l’automne et gelée par l’hiver, le bruit de son souffleur.
Le gardien désarmé, désolé de ne pas nous avoir entendus secouer la grille, lance un bonjour bourru. Il va finir son clope le temps qu’on mette un œil en appétit sur Dubuffet, qui attend là. La Closerie Falbala est un environnement sculpté et peint entre 1971 et 1973 sur un domaine de 1 610 m2 à Périgny.
Au matin, les ondines de l’Yerres, en contrebas, montent à travers les branches pour l’embrumer comme un Stonehenge en Val-de-Marne. Il y a de la magie sous ce béton emmitouflé de polyuréthane. On dirait que le site a poussé en une nuit après qu’un druide a versé là on ne sait quelle potion magique. Le sol mouvementé est ceint de sinueuses découpes verticales qui portent la marque de L’Hourloupe, un cycle de travaux débuté en 1962. Ce langage uniforme, pour reprendre les termes de l’artiste, doit « susciter un habitat sans haut ni bas, sans poids ni corps, et radieusement exsangue ». D’ailleurs, quiconque y entre croit léviter dans une vapeur anesthésique. Le champignon au centre du jardin est une villa qui sert d’écrin au Cabinet logologique, sorte de chambre capitonnée que le peintre réservait à son propre exercice de la philosophie. Sur les vingt-quatre panneaux de polyester qui la recouvrent, la partition d’un hymne écrit pour célébrer l’impermanence de toute chose.
L’ensemble du complexe Falbala est construit autour de la cellule contemplative et n’a jamais été, dans l’esprit de l’auteur, destiné à recevoir des visiteurs. Le gardien s’en explique : Jean Dubuffet est arrivé à Périgny en 1969 pour travailler auprès de Robert Haligon, « reproducteur statuaire », génie de la résine et géniteur connu des sculptures de Nikki de Saint Phalle.
La Closerie est une greffe topographique de ses pays imaginaires. Les bottes crottées par la saison et le bagou brillant, Monsieur Sachy veille avec sa fille sur la Closerie et sur ses résidents. Car le terrain voisin, où l’artiste avait ses ateliers, est devenu le sanctuaire des silhouettes extraordinaires du Coucou Bazar, entre autres œuvres. En rang comme les soldats du musée-mausolée de l’empereur Qin, la troupe n’a plus livré bataille depuis 1978, alors qu’elle devrait le refaire au Musée des arts déco de Paris, fin 2013. À l’oreille des fantômes de ce tableau vivant, le gardien murmure les honneurs qu’on doit aux vétérans ; puis il retourne à l’art qui a besoin de lui pour chasser les feuilles mortes.
Rue du Moulin-Neuf, sente des Vaux, ruelle aux Chevaux, Périgny-sur-Yerres (94).
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La Closerie Falbala
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°654 du 1 février 2013, avec le titre suivant : La Closerie Falbala