« Ses proportions sont insensées ».
La sculpture Sans titre, réalisée par Mimmo Paladino en 1988, a été acquise durant l’été 2006 par le Nouveau Musée National de Monaco pour venir compléter le fonds en cours de constitution, dédié au mouvement italien né d’une réaction de certains artistes transalpins au minimalisme et à l’art conceptuel, la transavanguardia. Le Nouveau Musée National de Monaco ouvrira en septembre 2008 dans un bâtiment provisoire en cours de réaménagement, la Villa Paloma. Avec 450 m2 d’espaces d’expositions répartis sur trois niveaux, cet espace temporaire permettra de présenter au public les collections permanentes du musée, et en particulier les acquisitions d’œuvres contemporaines, réalisées dans la période de préfiguration. Un niveau de la Villa sera consacré à l’art contemporain, un deuxième à l’art moderne et plus particulièrement à Kees Van Dongen, et enfin, le dernier niveau sera destiné aux expositions temporaires. Un deuxième site, la Villa Sauber, présentera, dès cette année, des expositions thématiques autour des acquisitions du Nouveau Musée : la donation Van Oosterom du 24 mars au 6 mai, puis les acquisitions autour des arts du spectacle à l’automne 2007. Sans titre évoque le carrocio, ce char traîné par des bœufs et qui fut employé pour la première fois au XIe siècle, par les Milanais de la Ligue lombarde contre l’empereur Frédéric Barbarossa. Le carrocio était une plate-forme rectangulaire sur laquelle étaient érigés une bannière et un autel ; les prêtres y officiaient avant les batailles. Point de ralliement et palladium à la gloire de la ville, sa prise par l’ennemi symbolisait l’infamie.
Avec cette sculpture, Paladino évoque ce Moyen Âge de l’Europe, avec un style et une syntaxe très contemporains. L’évocation d’un objet au travers de la forme artistique est immédiatement balayée par une construction indicielle ou référentielle dont l’artiste a le secret. Que ce soit ses peintures, ses installations, telle celle de la biennale de Venise de 1996, ses murs ou ses objets monumentaux, une œuvre de Paladino ne peut être appréhendée sous le sceau de la composition dans l’espace ou dans le cadre ; chaque forme entre en résonance avec les autres ; elle devient le maillon d’une chaîne syntagmatique. L’élancement des roues au diamètre très généreux et à l’empâtement étroit, contraire à toute règle utilitariste de « tenue de route correcte », éloigne insensiblement la sculpture du champ de l’objet.
Un chariot épuré
Ses proportions sont insensées et d’une grâce absolue. Le « rail » central triangulaire et à l’arête vive, qui relie les deux trains de roues, crée un porte-à-faux de plus de cinq mètres de longueur. Le chariot initial a perdu de sa substance, dès lors que l’artiste a remplacé la surface du plateau sur lequel on transporte habituellement les marchandises ou les hommes par une simple ligne, un fil de rasoir sur lequel sont disposées selon une rythmique précise vingt-cinq formes. À l’exception de deux tas informes – l’un correspond incontestablement à l’empreinte de la main dans la glaise –, toutes représentent à des degrés divers de sophistication du langage artistique des têtes humaines, du masque primitif à la tête réaliste ou expressionniste, en passant par la figure du heaume, récurrente dans l’œuvre de Paladino. « Chariot » vient du latin et signifie quatre roues. Si l’on s’avisait de tenter de faire tourner les roues de la sculpture de Mimmo Paladino, le chariot aurait plutôt des allures de grande catapulte : un mode de transport datant du Moyen Âge mais éminemment moderne dans son concept.
Jean-Michel Bouhours est conservateur en chef du Nouveau Musée National de Monaco, chargé du projet muséographique, www.nmnm.mc
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Jean-michel Bouhours, conservateur en chef du Nouveau Musée National de Monaco
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°254 du 2 mars 2007, avec le titre suivant : Jean-michel Bouhours, conservateur en chef du Nouveau Musée National de Monaco