GRENOBLE
Fidèle dans ses amitiés artistiques, le directeur du Musée de Grenoble, Guy Tosatto, a construit sa carrière en province, entre isolement et impasses politiques. Portait d’un enfant sage.
Voix posée et manières délicates. Le directeur du Musée de Grenoble, Guy Tosatto, a troqué son ancienne timidité pour une réserve avenante. Sa maxime ? « Le sage ne brille pas. » Ses allures d’enfant sage séduisent d’ailleurs ses tutelles. Sans viser en Rastignac la place forte parisienne, Guy Tosatto s’est taillé un parcours en province, dans des situations géographiques et politiques parfois ingrates. « Il aime une certaine solitude dans le travail, remarque Henry-Claude Cousseau, directeur de l’École nationale supérieure des beaux-arts (ÉNSBA) à Paris. Il aurait du mal à se diluer dans une institution parisienne. Son approche des choses est poétique, fragile et ne pourrait se faire qu’en province. »
Issu d’une famille modeste d’immigrés italiens, Guy Tosatto combine le pragmatisme d’un père issu du nord de la Botte à la propension au rêve héritée d’une mère méridionale. À l’âge de 12 ans, le Musée de Grenoble devient son « refuge ». Le bac en poche, il demande conseil sur son avenir à une conservatrice du musée. « Sortant de Verlaine et Rimbaud et arrivant à Artaud », il veut alors embrasser l’histoire de l’art et les lettres. Après une licence à Lyon, il monte à Paris pour une maîtrise sur Gnolli, puis entame une thèse sur les natures mortes de Morandi. À l’ARC/Musée d’art moderne de la Ville de Paris, il rencontre Suzanne Pagé, future directrice de l’institution, qui l’enjoint à opter plutôt pour l’art vivant. Inscrit en 1983 sur la liste d’aptitude aux fonctions de conservateur, il fait la connaissance, lors d’un stage, de Marie-Claude Beaud, alors directrice du Musée de Toulon. « Elle a apporté une autre façon d’aborder le métier, de sentir l’air, de prendre les moyens de ses ambitions, de faire de la communication. Le stage n’a duré qu’un mois et demi, mais c’était un vrai chamboulement », rappelle-t-il. Admiratif du rythme tout en scherzo de son mentor, il opte plutôt pour une petite musique intérieure, adagio. En 1984, Marie-Claude Beaud lui propose de la suivre à la Fondation Cartier (Jouy-en-Josas), où il apprend le métier au rythme d’un TGV. Suivant sa vocation première de conservateur, il migre toutefois l’année suivante vers le Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart, entre Limoges et Angoulême.
Personne n’aurait parié deux sous sur ce nouveau musée perdu dans le Limousin. Dans une situation complexe d’isolement, au sein d’un château bardé de contraintes, il crée une collection cohérente, en écho avec le site. « Il a fait des acquisitions sans vouloir coller une vision dogmatique à un espace. Il a travaillé avec la mémoire du lieu avec une certaine finesse d’approche », remarque le galeriste Michel Durand-Dessert. Guy Tosatto fait tout de suite preuve d’une culture qui ne s’arrête pas à l’image. « Ses expositions ont eu de beaux enjeux politiques. Avec “Le regard du Dormeur” (1987), il a été l’un des premiers à lier l’intellectuel Georges Didi-Huberman au monde de l’art », remarque le commissaire d’expositions Jean de Loisy. Ses expositions respirent pourtant plus une certaine élégance et un goût du rêve qu’un activisme politique.
Au bout de six ans, Guy Tosatto prend les rênes du Carré d’art de Nîmes à la demande de son créateur, Bob Calle. Le passage de relais n’en sera pas simple pour autant. « Il était très aimé par la maison. Nous nous sommes très bien entendus, mais on n’a pas eu de camaraderie, confie Bob Calle. Guy avait son idée et y restait accroché. Pour l’exposition d’ouverture, je lui avais suggéré deux-trois artistes californiens de la même génération qu’Arman, mais il n’en a pas tenu compte. Ça ne l’intéressait pas. »
Accompagnateur de projet
En 1994, Tosatto orchestre les expositions Juan Muñoz, Sigmar Polke et Thomas Schütte. Lors du changement de coloration de la municipalité, il doit composer avec un budget réduit de moitié. Politique, il l’est moins à la manière florentine que par son calme imperturbable qui lui permet de faire le dos rond. « C’est un fin négociateur qui ne s’énerve pas. Il prend du temps pour les choses. Il a une capacité d’absorption des coups », remarque Marie-Claude Beaud. Comme tout être de passion froide, il donne le sentiment de ne pas être au service de ses passions, qualité qui a le don de rassurer une collectivité, aussi farouche soit-elle. Face aux « pressions codées » des édiles, il développe des expositions dans les quartiers en s’adossant au réseau des bibliothèques municipales. « Pour les politiques, ça a plus compté que les expositions Richter ou Struth, jusqu’au moment où ils en ont vu l’écho dans la presse », observe l’intéressé. Le bilan des années nîmoises reste toutefois mitigé. « Il a plus stabilisé un lieu que laissé des traces », remarque un observateur. « Il a dû reconstruire un lien politique, éduquer une nouvelle municipalité en résistance, défend un proche. Il a réussi à ne pas en faire un drame mais un travail de pédagogie. Le milieu attendait beaucoup du musée et il a dû gérer cette déception avec sérénité. » On lui a aussi reproché d’être peu prospectif. « Un lieu comme le Carré semblait presque classique, alors qu’on avait fait la première monographie de Struth. Si j’avais voulu être très contemporain, j’aurais alors montré Nan Goldin. Je me suis senti en porte-à-faux dans un lieu à la fois musée et centre d’art », admet Guy Tosatto.
Ses expositions épuisent presque toujours les mêmes sphères esthétiques, de Penone à Boltanski. « S’il s’intéresse aux années 1970, c’est parce qu’elles sont très théoriques. Il a une vision très chasteliène, humaniste de l’art. Il n’est pas sensible au côté mondialiste ou au travail sur les marges. C’est un classique de la Renaissance, mais plus proche de Vinci que de Poussin », analyse Marie-Claude Beaud. Le rythme de Guy Tosatto n’est pas celui du zapping ou de l’urgence. « Il est dans une forme de ressassement poétique, comme dans un raga indien », convient Henry-Claude Cousseau. Tosatto ne peut élaborer un programme plus vite que ne se construisent ses amitiés artistiques. « Il y a en lui un art de l’insistance, remarque Jean de Loisy. Quand il travaille avec un artiste, il crée une complicité telle qu’une œuvre à nouveau montrée donne l’impression de l’être pour la première fois. » Un jugement que conforte Jean-Louis Froment, ancien directeur du capcMusée d’art contemporain de Bordeaux : « C’est un très bon accompagnateur de projet artistique et non un commissaire de casting qui rassemble des œuvres pour les plaquer selon son point de vue. » Avec la patience d’un lissier, il a réussi à tisser des liens étroits avec des artistes aussi farouches que Polke ou Richter. « Il leur inspire confiance, car il ne vient pas en quête d’un positionnement de pouvoir. Il leur fait passer le message qu’il ne vient pas voir le peintre célèbre, mais celui qui fait des recherches », explique Henry-Claude Cousseau.
De son passage éclair au Musée des beaux-arts de Nantes, il y a peu à retenir, si ce n’est la frustration locale lors de son départ rapide pour Grenoble en 2002. En retournant dans une ville dont il connaît les fibres, Guy Tosatto laissera-t-il une empreinte aussi forte que ses prédécesseurs Pierre Gaudibert, Maurice Bessy ou Serge Lemoine ? Il ne produira sans doute pas une collection aussi historiquement marquée que celle de ce dernier. Il devra aussi réfléchir au positionnement du musée par rapport à Saint-Étienne et à Lyon, deux municipalités dotées de belles collections d’art contemporain. « La dernière partie du mandat de Serge Lemoine était dominée par des expositions historiques. Le musée est du coup figé dans une image d’art moderne, déclare Tosatto. Mon ambition est de réinsérer Grenoble dans la carte des musées d’art contemporain. » Un objectif que ne facilite peut-être pas sa propension à de lents remous. Sa partition personnelle relève plus du « Temps de la mélancolie », titre de l’exposition phare de 2005 ou de « L’art au futur antérieur », exposition hommage aux galeristes Liliane et Michel Durand-Dessert organisée à l’été 2004.
1958 Naissance à La Tronche (Isère)
1985 Conservateur du Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart
1991 Directeur du Carré d’art-Musée d’art contemporain de Nîmes
1997 Directeur du Musée des beaux-arts de Nîmes
2001 Directeur du Musée des beaux-arts de Nantes
2002 Directeur du Musée de Grenoble
2005 Jusqu’au 4 avril : « Bienvenue », dépôt de 27 œuvres du FRAC Rhône-Alpes ; 12 mars-12 juin : « Le temps de la mélancolie. L’art italien et la Metafisica (1912-1915) »
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Guy Tosatto, directeur du musée de Grenoble
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°210 du 4 mars 2005, avec le titre suivant : Guy Tosatto