FÉCAM
Au terme d’un projet au long cours et d’un chantier houleux, l’ancienne sècherie de morue du port s’est mue en un Musée des pêcheries. Un nouveau musée séduisant, malgré des collections disparates.
Fécamp. En bordure du port de Fécamp et de ses bateaux, l’ancienne usine arbore fièrement un « Musée des pêcheries » sur sa façade blanche percée de fenêtres. Les politiques, le personnel muséal et les Fécampois se réjouissent de l’ouverture de ce nouvel établissement culturel en ce frileux mois de décembre. Aux journalistes, Pierre Aubry, adjoint à la culture demande de « faire table rase du passé ». Car chacun a encore en mémoire combien il a été long, difficile et conflictuel d’arriver à l’aboutissement de ce projet né au début du XXIe siècle. Malfaçons, gros retards, dépassements des coûts, conflits politiques, ont entouré le chantier et agité la petite ville de Fécamp ces quinze dernières années. Ce dont ne se doutait pas la conservatrice Marie-Hélène Desjardins, lorsqu’elle propose en 2002 au maire de la ville, Patrick Jeanne (PS) de réunir les deux musées municipaux de Fécamp au sein de cette ancienne sècherie et conserverie de poissons.
Un projet semé d’embûches
Bâtie entre 1948 et 1950 dans le style de la reconstruction d’après-guerre, l’usine a été désaffectée en 1996 et le minuscule Musée des arts et de l’enfance, dont l’essentiel des collections est dissimulé en réserve, pourrait s’y établir avec le contenu du Musée des Terre-Neuvas et de la pêche. Le projet rencontre l’enthousiasme de l’élu qui a en vue le développement touristique que permettrait cette reconversion. Le projet scientifique et culturel (PSC) établi par la conservatrice est voté en 2003 par le conseil municipal. En 2004, le Musée des arts et de l’enfance ferme ses portes pour restaurer les collections et les préparer au déménagement. Remportant le concours de maîtrise d’œuvre, l’agence parisienne Basalt Architecture est choisie pour réhabiliter l’usine. Les travaux commencent en 2008 pour une ouverture prévue en 2010-2011. Mais les incidents vont se multiplier : escalier de secours trop étroit, fenêtres fissurées, peintures inadaptées, poutres secondaires insuffisamment résistantes au feu, dysfonctionnement du système de désenfumage… les manquements aux règles de sécurité sont légion. « Le projet architectural était bon, mais pas la conduite de chantier, il y a eu un gros problème de coordination entre architecte et entreprises », résume aujourd’hui la conservatrice. « Pendant trois ans, nous n’avons pas vu l’architecte », commentent plusieurs personnes.
Les annonces d’ouverture se multiplient, mais sont toujours repoussées. Le futur musée des pêcheries est devenu un serpent de mer. La colère de la population se cristallise autour de ce chantier d’autant que Fécampois et touristes sont désormais privés du Musée des Terre-Neuvas et de la pêche. Ouvert en 1988 avec l’appui des anciens pêcheurs locaux, ce musée à la présentation tout à fait décente a fermé ses portes fin 2012 en vue d’un déménagement qui se fait toujours attendre (heureusement la tenue de quelques expositions temporaires pendant la période de fermeture fait office de compensation). En 2014, ces ratés contribuent à ce que Marie-Agnès Poussier-Winsback (LR), fervente opposante au musée des pêcheries, remporte l’élection municipale. Celle qui avait toujours déclaré que le projet était trop pharaonique pour Fécamp va tout de même reprendre le flambeau. « Il était trop tard pour revenir en arrière », résume aujourd’hui l’adjoint à la culture. Il s’agit maintenant de remettre les acteurs du chantier autour d’une même table, de rectifier les ratés, de procéder aux installations muséographiques et d’ouvrir pour de bon fin 2017. Au final, près de 18 millions d’euros auront été dépensés, contre les 7 millions prévus à l’origine.
Le jeu en valait-il la chandelle ? La vue exceptionnelle à 360° sur Fécamp (son port, ses falaises, ses maisons, ses monuments) qu’offre le belvédère fiché au septième étage de l’édifice réconcilierait presque à elle seule tout le monde sur la qualité de la réalisation finale. Et le reste de l’établissement, qui comprend des espaces d’exposition temporaire et de documentation, un auditorium, une librairie, est à la hauteur de la première impression, même si on peut reprocher au parcours permanent un sens de visite trop éclaté et des panneaux et cartels un peu légers. Dans une usine qui a su conserver dans ses murs la mémoire de certaines de ses installations (ici un gigantesque four à fumer le saumon resté en place), le bâtiment de 4 700 m2 permet aux différentes collections de la ville de Fécamp de se déployer confortablement. Le lieu s’organise en séquences bien distinctes qui respectent les différences des anciens musées. « On a décidé d’assumer l’histoire de nos collections et de ne pas tenter de créer des liens entre les objets qui auraient été forcément un peu artificiels », explique Marie-Hélène Desjardins. Fécamp ayant été le premier port morutier de France (pêche pratiquée à Terre-Neuve par les fameux Terre-Neuvas), mais aussi une place forte de la pêche aux harengs, la vie en mer est un gros morceau du parcours. Maquettes de navires, tableaux de marines, matériel de pêche sont placés dans une scénographie immersive (cimaises évoquant les vagues) qui fait la part belle au patrimoine immatériel (témoignages sonores de marins et de celles et ceux restés à quai).
Un musée hybride, des beaux-arts à l’ethnographie
Les beaux-arts sont regroupés au sein d’un même espace. Si elle ne comprend pas de très grands noms, cette présentation chrono thématique, qui va du XVe au XXe siècles, n’en abrite pas moins de très belles peintures et sculptures, en particulier du XIXe siècle. Une belle place est accordée à la peinture d’histoire (à noter un Léon Cogniet de début de carrière), mais aussi aux peintres de plein air ayant écumé la côte normande (beaux petits tableaux d’Eugène Le Poittevin). Pour les non-Fécampois, la séquence la plus inattendue du musée est sans aucun doute celle consacrée aux pièces venant de l’ex-Musée de l’enfance (un musée à part entière, jusqu’à ce qu’il se mêle à celui des beaux-arts) créé par le pédiatre Léon Dufour (1856-1928) en 1918. Ce fondateur de l’œuvre de médecine sociale la « Goutte de lait », qui s’est consacré à la réduction de la mortalité infantile en distribuant des biberons stérilisés aux précaires, a rassemblé toutes sortes de pièces les plus diverses : biberons de toute époque, statuettes de fécondité, moulages de selles de bébés en plâtre peint… qui se déclinent aujourd’hui sur des murs d’un blanc très hygiéniste.
En coulisses, la fierté du travail accompli domine et on espère 70 000 visiteurs annuels. Mais subsiste la crainte que ce musée hybride, entre histoire, ethnographie et beaux-arts, basé sur une étude de programmation de presque quinze ans, soit déjà un peu daté, en particulier la partie consacrée aux arts et traditions populaires du Pays de Caux, qui fait la part belle aux period room. L’avenir le dira.
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Fécamp ouvre enfin son Musée des pêcheries
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°492 du 4 janvier 2018, avec le titre suivant : Fécamp ouvre enfin son Musée des pêcheries