La Fondation Francès fête ses 15 ans. Le duo formé par les entrepreneurs Estelle et Hervé Francès explique l’origine de sa collection d’art contemporain.
Estelle francès - J’ai grandi aux côtés d’une mère artiste et mon père, ingénieur et entrepreneur, dessinait lui aussi. Diplômée de l’Essec, j’ai mené pendant 10 ans une carrière professionnelle sans jamais m’éloigner du milieu artistique. Parfois, je lançais des projets qui mêlaient mon travail pour un grand constructeur automobile au monde de la création. En 2004, j’ai quitté mes fonctions pour créer ma propre entreprise, Arroi, spécialisée dans l’ingénierie culturelle et la gestion de collections Privées.hervé francès - En 1993, j’ai créé mon agence de communication, Okó, dont 50 % des collaborateurs sont des créatifs. Ce métier ne peut pas s’envisager sans culture et sans intérêt pour toutes les formes d’art. Très jeune, j’allais régulièrement dans des expositions et des galeries. J’ai acheté mon premier dessin à 24 ans, je continue de l’aimer et il continue de déranger celles et ceux qui le voient pour la première fois.
E.F. - J’aime être saisie par l’œuvre que je regarde, comprendre ma réaction, et ensuite décrypter l’intention de l’artiste. L’œuvre doit engager des dialogues et des confidences, provoquer une intimité et une authenticité. Je m’intéresse beaucoup à son historique et à sa place dans la société.
H.F. - Acheter de l’art contemporain est un acte politique. Lorsque nous avons choisi des œuvres qui évoquaient les excès des religions, les violences faites aux femmes ou les problèmes environnementaux, ces sujets n’existaient pas ou peu dans les médias. Aujourd’hui, ils sont au cœur de nos vies. Les vrais artistes ont une acuité supérieure à la moyenne. Si leur travail dérange parce qu’il est trop vif ou trop précoce, je m’en arrange. Je n’attends pas d’une œuvre qu’elle me câline, mais qu’elle m’agite.
E.F. - C’est une sculpture en argile sombre de Gloria Friedmann (née en 1950), acquise en 2005. Son titre était précurseur de la suite, The Human Factor. Elle représente un homme d’assez grande taille tenant dans l’une de ses Mains un livre.H.F. - Dans cette œuvre, il y avait les germes – sans que nous le sachions alors – de ce qui serait l’esprit de notre collection : la figure humaine, la quête de sens, la certitude que le facteur humain est à la source de tout, des bonheurs et des malheurs, des solidarités et des tragédies.
E.F. - Pour partager la collection. Installée dans une maison au centre de Senlis (Oise), notre fondation donne à voir des œuvres contemporaines dans un territoire qui en est dépourvu. C’est un lieu modeste mais accueillant et ouvert à tous. L’accès y est gratuit. La plupart des œuvres sont visibles en ligne avec des contenus que nous rédigeons. Nous aimons susciter des échanges – et parfois des débats – autour d’une œuvre.
E.F. - Oui, nous n’achetons jamais une œuvre sans un accord mutuel. Cela se fait, la plupart du temps, comme une évidence. Et lorsque ce n’est pas le cas, s’ouvrent alors de nouvelles conversations qui amènent à se découvrir autrement.
H.F. - C’est l’opportunité qui guide nos choix. Nous sommes des entrepreneurs, nos fonds ne sont pas illimités. Lorsque l’œuvre d’un artiste que nous aimons se présente dans une salle des ventes, nous en sommes alertés. Nous nous renseignons et il peut parfois arriver que nous enchérissions. Toutefois, notre première envie est d’acheter auprès des galeries. Nous devons soutenir leur modèle car sans elles nous n’aurions pas découvert un grand nombre d’artistes. La galerie qui nous voit comme une « carte de crédit sur pattes », nous l’évitons et la décourageons. Nos moyens sont limités et nous nous tenons à l’écart du mainstream. En revanche, la galerie un peu originale, passionnée et sincère, peut Compter sur nous.E.F. - Je réalise de nombreuses visites d’ateliers et participe à des commissions et à des comités d’acquisition, comme celui du Frac Picardie. Si les visites d’ateliers sont souvent de belles découvertes, nous achetons très rarement aux artistes directement. Parmi les nombreux galeristes dont nous admirons le travail, je pourrais citer Hervé Loevenbruck, Suzanne Tarasieve (morte en 2022) avec l’équipe de qui nous maintenons des liens, la galerie Templon et sa directrice Anne-Claudie Coric ou encore la galerie Vincent Sator. Grâce à eux, nous avons découvert et acquis des œuvres d’Ashley Hans Scheirl et Jakob Lena Knebl, Youcef Korichi, Alin Bozbiciu, Eva Jospin, Nina Mae Fowler, Gil Heitor Cortesão, Romain Bernini, Oda Jaune, Jeanne Vicerial, Nazanin Pouyandeh ou éric Manigaud.
E.F. - Nous n’avons aucun prérequis, aucun filtre. Le plaisir face à l’œuvre est notre leitmotiv. Le coût moyen d’acquisition s’inscrit dans une fourchette allant de 10 000 à 15 000 euros. Mais beaucoup ont coûté bien moins et quelques-unes ont fait exception, parce que l’œuvre et le parcours de l’artiste le justifiaient. Nous avons en acquis très peu au-dessus de 60 000 euros, leur nombre tient sur Mes Dix doigts.H.F. - La question du potentiel de revente d’un artiste n’est pas un critère car nous cédons très peu d’œuvres. Nous l’avons fait une fois à Paris avec Sotheby’s en 2019 afin de soutenir notre fondation. Nos limites financières nous ont toujours mis à distance du grand marché de l’art international mais jamais à l’écart des grands artistes. Nous déployons aussi une veille attentive sur le second marché. Nous découvrons et achetons les œuvres d’artistes oubliés ou négligés, comme Roy Adzak (1927-1987) ou Jean Rustin (1928-2013). Le marché les a boudés ou les boude encore alors que leurs pratiques sont très singulières. À nos yeux, c’est une sanction injustifiée.
E.F. - Jamais. Car ce n’est pas seulement acheter une œuvre qui nous fait plaisir, mais aussi l’élan partagé, ou le débat, qui en a précédé l’acquisition. Notre intention et notre bonheur consistent à découvrir ensemble.
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Estelle et Hervé Francès : « Je n’attends pas d’une œuvre qu’elle me câline, mais qu’elle m’agite »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°772 du 1 février 2024, avec le titre suivant : Estelle et Hervé Francès : « Je n’attends pas d’une œuvre qu’elle me câline, mais qu’elle m’agite »