Une équipe de restaurateurs et biologistes développe une technique de restauration à base de bactéries non abrasive.
Espagne. Pilar Roig, restauratrice, et Pilar Bosch, microbiologiste, mère et fille, utilisent depuis une quinzaine d’années une méthode de restauration à base de bactéries pour nettoyer la colle tenace des fresques du XVIIIe siècle (voir ill.) ainsi que les traces de nitrate sur les peintures murales et les matériaux en pierre. Fort de leur succès, le ministère de la Culture espagnol leur a demandé, en 2021, en partenariat avec l’université de Saint-Jacques-de-Compostelle, de développer une technique non toxique à base de bactéries pour retirer les graffitis dans l’espace urbain.
Plusieurs types de bactéries ont déjà été écartés par l’équipe de Pilar Bosch, dont le projet scientifique Bioxen se concentre sur la recherche d’un micro-organisme qui ne soit ni toxique pour les édifices ni pour la santé humaine, qui soit biosourcé et respectueux de l’environnement, pour la restauration spécifique du patrimoine en pierre. Les graffitis sont difficiles à éliminer en raison de leur matière visqueuse, malléable, dotée d’une grande capacité de pénétration, notamment sur les surfaces poreuses comme la roche. Les techniques physiques et chimiques utilisées pour les nettoyer compromettent souvent l’intégrité des édifices, ce que le bionettoyage peut pallier.
C’est en 2008 que Pilar Bosch a découvert un article suggérant que les bactéries, son domaine, pourraient être utilisées dans la restauration d’œuvres d’art et pour les fresques des églises italiennes, le domaine d’expertise de sa mère. Après des missions de restauration des fresques du cimetière monumental de Pise et des fresques des Musées du Vatican avec l’équipe scientifique italienne de Colalucci et Giancarlo Ranalli, qui travaillent avec des bactéries depuis 2005, Pilar Bosch et sa mère ont utilisé leur technique à Valence (Espagne), grâce à un fonds de recherche de quatre millions d’euros, octroyé par la fondation Hortensia Herrero.
Bosch et Roig ont débuté par les fresques de l’église de Santos Juanes en 2013, où la restauratrice Pilar Roig se trouvait dans une impasse. « Retirer manuellement la colle sur les fresques requerrait plusieurs années de travail », explique-t-elle. Les bactéries du genre Pseudomonas stutzeri, qui produisent des enzymes naturelles dégradant la colle, sont mélangées à un gel naturel à base d’algues et sont étalées sur la peinture, puis retirées au bout de trois heures. Les restes non digérés par les bactéries sont éliminés à l’aide d’un pinceau et d’eau. « La bactérie est non toxique et sans dommage pour les œuvres, son utilisation représente un grand potentiel pour développer des techniques plus respectueuses de l’environnement », précise Pilar Bosch. Le duo a restauré plusieurs édifices du pays valencien avec le bionettoyage, tels que l’église San Nicolás de Valence, le pont Serranos et le pont de la Trinité.
Les recherches menées par le duo mère-fille sont novatrices en Espagne, mais l’utilisation de bactéries pour restaurer des œuvres d’art se développe ces dernières années dans le milieu scientifique international, notamment en Italie, à l’instar de l’université de Ferrare où Elisabetta Caselli teste, depuis 2018, des micro-organismes pour limiter la biodégradation des peintures à l’huile provoquée par des champignons.
D’autres recherches prometteuses soulignent le grand champ d’application des micro-organismes, notamment à l’université de New York, où Jason Horowitz a développé en 2021 une technique pour restaurer le marbre, avec la bactérie Serratia ficaria (SH7), qui se nourrit de graisse et de phosphate. En Suisse, des chercheurs du Laboratoire des matériaux souples développent le projet BactoInk, une encre à base de bactéries qui peut être injectée directement dans un site cible tel qu’une fissure dans un vase ou un éclat dans une statue, pour réparer l’œuvre et éviter d’autres dommages lors du processus de restauration.
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En Espagne, des bactéries à l’assaut des graffitis
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°644 du 29 novembre 2024, avec le titre suivant : En Espagne, des bactéries à l’assaut des graffitis