Le trésor de Troie est enfin présenté au Musée Pouchkine, plus d’un demi-siècle après sa disparition. L’exposition a déclenché une attaque des Musées d’État de Berlin, qui déclarent qu’elle a été organisée "sans autorisation".
MOSCOU - Dès leur découverte au XIXe siècle par Schliemann, les objets avaient été étudiés et décrits abondamment. Mais ce n’est qu’après la reconnaissance officielle par le gouvernement russe, en 1993, de leur présence à Moscou, que des experts ont pu étudier ce matériel archéologique. L’examen a permis de vérifier les allégations de l’archéologue américain David Trail, de l’université de Californie, qui pensait que Schliemann avait regroupé indûment des objets provenant de divers sites. Vladimir Tolstikov, conservateur au Musée Pouchkine, a conclu que "tous les objets exposés, les vases, les bijoux de métaux précieux, les haches en pierre polie, sont authentiques et datent de la première et de la moyenne période de l’âge du bronze." L’exposition du Musée Pouchkine ravive la question de la propriété des collections de Schliemann. Le ministre de la Culture E. Sidorov, dans sa préface au catalogue, ne revendique pas officiellement le trésor, mais il ne fait aucune allusion à une éventuelle restitution. Il se contente d’affirmer que " les grandes créations culturelles ont toujours appartenu et appartiennent encore à l’humanité".
Dans les coffres du musée Irina Antonova, directrice du Musée Pouchkine, donne dans son introduction la version officielle de l’acquisition du trésor par l’Armée rouge, en mai 1945 :"Pour le sauver du danger, le directeur du Musée d’histoire ancienne de Berlin l’a remis aux autorités soviétiques. Le trésor a été envoyé en Russie avec d’autres biens culturels de valeur". La directrice ajoute :"Nous aurions dû l’exposer depuis longtemps. Mais pour cela, il fallait que toutes les questions soient réglées. Toutefois, il est bien naïf, ou même abusif, de considérer que la solution de ce problème dépend des musées". Il y a quatre ans, avant que le gouvernement russe admette que le trésor était à Moscou, le vice-ministre de la Culture Tatiana Nikitina avait déclaré à The Art Newspaper qu’elle savait que l’or était caché dans les coffres du musée. Et bien que celui-ci n’ait été qu’à quelques minutes à pied de son bureau, elle n’avait pas le pouvoir de mener une enquête. Selon elle, la directrice du musée obéissait à des ordres supérieurs... "L’on ne peut pas s’enquérir de l’Or de Troie aussi longtemps que cet ordre n’aura pas été révoqué", avait-elle déclaré. La résistance qu’opposent la direction du Musée Pouchkine et les nationalistes russes à la restitution du trésor de Priam a déclenché la colère des Musées d’État de Berlin. Dans un texte qui devait être inclus dans la version allemande du catalogue de l’exposition, le directeur du Musée de pré- et protohistoire de Berlin, Wilfried Menghin, définissait la position allemande. Irina Antonova s’est opposée à la publication du texte, et bien qu’il soit distribué avec le catalogue, il a été imprimé séparément.
Une manifestation politique Wilfried Menghin révèle que son musée avait proposé au Musée Pouchkine de collaborer à l’exposition. "Cette coopération, qui aurait montré la volonté des deux parties de travailler dans un climat de confiance, n’a pas été acceptée. Bien au contraire, nos collègues russes ont soigneusement évité de consulter le Musée de pré- et protohistoire de Berlin". Il critique ainsi le texte du catalogue de l’exposition :"Les auteurs veulent accréditer l’idée que l’Or de Troie (en raison de tragiques circonstances) s’est égaré et qu’après des années d’obscurité, il est "rendu au monde" par le Musée Pouchkine. Chacun des 259 objets exposés porte à la fois le numéro d’inventaire d’H. Schmidt (1902) et un numéro attribué par le Musée Pouchkine. Nous espérons que cette classification n’est que temporaire. Il serait étrange qu’au mépris des lois internationales, et contrairement à l’esprit et à la lettre des accords bilatéraux, un musée aussi célèbre que le Pouchkine déclare comme étant sienne la propriété d’un autre musée. C’est pourtant l’attitude que le musée adopte en organisant cette exposition sans notre autorisation". Wilfried Menghin organise sa propre exposition, une décision qu’un porte-parole du musée de Berlin admet être en partie "une manifestation politique". Le 13 avril, trois jours avant le Musée Pouchkine, le Musée de pré- et protohistoire a inauguré au Schloss Charlottenburg une exposition intitulée "Troie-Schliemann-Antiquités". Elle rassemble 500 objets provenant des 7 000 pièces que comptent les collections du Musée de pré- et protohistoire et celles du Pergamon, restituées en 1958 à la RDA par les Soviétiques.
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Deux fois Troie
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°25 du 1 mai 1996, avec le titre suivant : Deux fois Troie