Plate-formes numériques communes, projet de musée 3D tourné vers les nouveaux publics, développement de l’attractivité des territoires, les musées picto-charentais font face aux enjeux du XXIe siècle au moment où la région fusionne avec l’Aquitaine.
Alors que la région dispose d’un parc muséal modernisé, sa valorisation demeure essentielle, a fortiori à l’heure du redécoupage territorial. En janvier 2016, le Poitou-Charentes fusionne effectivement avec l’Aquitaine et le Limousin dans une vaste entité de douze départements. Face à ce défi, le mot d’ordre est la mutualisation des forces. Le numérique, domaine dans lequel le Conseil des musées a été pionnier, tient évidemment une place cruciale dans cette quête de visibilité. Première en France, les musées picto-charentais vont bientôt disposer d’une plate-forme ressource proposant gratuitement des produits numériques modélisables. « L’objectif est de créer des produits homogènes, de qualité, mais moins chers que ceux conçus par les prestataires de services qui sont peu adaptés à nos besoins », explique Marie-Françoise Gérard. « Dans cette optique, nous avons noué un partenariat avec l’IUT de La Rochelle qui donne aussi un coup de projecteur sur la qualité des enseignements dans la région. » Les étudiants des licences professionnelles Masertic et IRM élaborent des produits numériques que les musées peuvent ensuite personnaliser avec leur propre contenu.
Le premier produit, « Visite patrimoine », se décline en site internet et en application. À partir de points d’intérêt géolocalisés, il propose des circuits de découverte du patrimoine urbain ou rural en lien avec les collections d’un musée. La Rochelle a été choisie comme ville test pour lancer l’appli en décembre. Une dizaine de musées sont déjà intéressés pour l’adopter. Une autre expérimentation est également en cours à Poitiers, elle repose sur les mêmes principes et intègre en plus la technologie des balises Beacon. Via un signal bluetooth, la balise active une appli affichant sur smartphone des contenus relatifs à une œuvre ou aux salles du Musée Sainte-Croix. Le Beacon analyse en outre les pratiques de visite, permettant éventuellement de recalibrer le circuit. D’autres projets au long cours sont également à l’étude. Des chercheurs de La Rochelle étudient par exemple comment le robot peut aider le public, surtout le plus jeune, à s’approprier les musées. Le Musée d’Angoulême, à la pointe des techniques de médiation, s’est porté volontaire pour participer à l’expérimentation.
Un musée 100 % virtuel
Parallèlement, le Conseil des musées travaille à un autre projet d’envergure : le musée 3D des collections picto-charentaises qui devrait être accessible fin 2016. « Nous avons imaginé un produit plus ambitieux que Google Art Project », avance Fabienne Texier, présidente du Conseil. « Nous allons scanner en 3D environ cent cinquante pièces, trois en moyenne par musée, qui seront présentées par grands ensembles thématiques dans une architecture et une scénographie virtuelles. » Cette initiative, qui entend fédérer davantage les collections régionales et les diffuser, comporte aussi un volet gamification. Le visiteur pourra par exemple constituer son propre accrochage en ajoutant d’autres œuvres issues de la base de données ou des visuels de son choix.
Le public scolaire est évidemment en ligne de mire. « Un des objectifs est d’amener le musée là où il ne va pas », précise Fabienne Texier. « Beaucoup d’écoles sont éloignées des musées et n’ont pas forcément les moyens d’organiser des déplacements pour les élèves ; la 3D s’inscrit donc dans une démarche pédagogique et de démocratisation. » D’autant qu’à terme le musée sera associé à la réalisation de mallettes pédagogiques contenant des copies fidèles des objets phares réalisés grâce à une imprimante 3D. L’acquisition de cette imprimante va faire l’objet de la première levée de fonds orchestrée par l’ensemble des musées. Cette campagne de financement participatif va être précédée d’une opération de community management visant à renforcer les réseaux sociaux des musées.
Doper l’attractivité territoriale
Le numérique n’est cependant pas une fin en soi, et ces différents projets s’inscrivent dans une politique de développement de l’attractivité territoriale. Ce n’est donc pas un hasard si La Rochelle a été sélectionnée pour inaugurer « Visite patrimoine ». L’appli pointe en effet la nécessité de moderniser son MAH en mettant en évidence le potentiel de l’établissement dans la valorisation de l’histoire de la ville. « Nous avons un patrimoine urbain riche et cohérent, mais trop peu identifié », souligne Annick Notter. « Il est temps de penser un tourisme culturel dans lequel le patrimoine et les musées doivent avoir toute leur place. » Même problématique à Poitiers, cité au patrimoine remarquable, mais qui a longtemps vécu dans l’ombre du Futuroscope, un mastodonte touristique travaillant en autarcie. La ville d’art et d’histoire redore progressivement son blason, entre autres, via le projet de refonte du Musée Sainte-Croix. Seul musée classé de la région, il devrait légitimement jouer un rôle de tête de file, mais n’attire que 29 000 visiteurs. « Il y a eu une prise de conscience », se réjouit Pascal Faracci, directeur des musées de la ville. « Tout le monde s’accorde sur le fait que Poitiers doit retrouver sa juste dimension de capitale régionale par rapport à ses homologues, Limoges et Bordeaux. » De fait, la rénovation du musée et sa nouvelle offre numérique s’adossent à un grand projet architectural et urbanistique visant à revaloriser le quartier épiscopal. À l’horizon 2025, ce nouveau quartier devrait conférer davantage de visibilité au musée un peu à l’écart du centre-ville en l’articulant mieux avec les grands monuments alentour : la cathédrale Saint-Pierre, le baptistère et le Palais des comtes de Poitou-ducs d’Aquitaine.
Les territoires ruraux sont aussi dans le viseur comme en atteste l’Historial du Poitou, porté par le département de la Vienne. Le projet devrait se concrétiser en partenariat avec Cap Sciences, centre de culture scientifique technique et industrielle sis à Bordeaux et spécialiste des compagnons de visite. L’historial présenterait un panorama de l’ensemble du patrimoine du territoire, un patrimoine dispersé et divers, difficile à fédérer sans l’aide du numérique. Dans cet espace commun, le public pourrait acquérir un compagnon de visite lui permettant de réaliser des parcours liant sites et musées et intégrant un volet gamification, destinés à séduire les publics peu familiers des musées. L’appli pourrait aussi intégrer une offre touristique globale afin de doper l’économie locale.
L’élaboration d’une nouvelle grande région génère inévitablement des inquiétudes et chaque pôle régional doit montrer ses forces. Dans cette perspective, les conseillers musées d’Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes ont rencontré le préfet préfigurateur. « L’objectif est d’avoir une direction tricéphale avec les trois conseillers qui vont continuer à gérer leurs musées tout en mutualisant leurs savoir-faire spécifiques », confie Marie-Françoise Gérard. « Pour l’Aquitaine, le préfet préfigurateur a mis en évidence les compétences sur le patrimoine immatériel, dont les langues de France, le basque et l’occitan. Pour le Limousin, il a retenu l’articulation entre musées et villes et pays d’art et d’histoire et les liens tissés entre les métiers d’art et la création. »
Sans surprise, les pôles de spécialité identifiés en Poitou-Charentes sont le réseau de restauration, qui n’existe pas chez ses voisins et que les musées limousins et aquitains sollicitent déjà, et évidemment le numérique. « Nos voisins ont des besoins sensiblement analogues aux nôtres en termes de valorisation des collections et de numérique », remarque Fabienne Texier. « L’enjeu est de devenir l’outil de référence. Cela ne va pas être facile, car ils ne sont pas fédérés comme nous, mais ils sont intéressés, notamment, par l’aspect vitrine de nos produits. » Dans un avenir proche, les musées limousins et aquitains pourraient donc présenter leurs collections dans le musée 3D et utiliser les produits numériques modélisables. Il y a de véritables enjeux de visibilité, d’autant plus que de gros porteurs comme le Futuroscope veulent créer une association réservée aux établissements accueillant plus de 100 000 visiteurs. Si les musées ne sont pas unis, cela risque de leur causer une concurrence très forte. Enfin, en marge des stratégies numériques, d’autres projets plus classiques, mais fondamentaux pour édifier un réseau solide, sont déjà concrétisés. En 2017, La Rochelle, Limoges et Agen organisent ainsi une exposition itinérante, la première rétrospective consacrée à Gustave Guillaumet.
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Des musées du XXIe siècle
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°685 du 1 décembre 2015, avec le titre suivant : Des musées du XXIe siècle