Claude Fournet, conservateur du Musée des beaux-arts de Chambéry, a sélectionné Allégorie de la musique profane (Florence, XVIIe siècle) de Domenico Frilli Croci.
En prenant la direction des Musées de Chambéry, j’ai découvert un tableau, récemment restauré, qui n’avait pas été vraiment publié et peu exposé. Il s’agissait d’un portrait, attribué dans les années 1990 à Dominico Frilli Croci, peintre dont la biographie était à peine connue. L’œuvre, supposée représenter Orphée, et rendue à la flamboyance maniériste, ne manque pas d’intriguer avec un rien de provocation : le jeune homme un peu gras, couronné de fleurs, enrubanné du ventre, un archet retourné dans la main droite, tient une viole. Deux colombes, sur une balustrade, simulent l’amour, tandis que des livres de musique, l’un négligemment ouvert, distribuent le spectacle du madrigal vénitien ou romain à l’époque de Frescobaldi ou de Monteverdi. Un autre détail prend aussi son importance. La poitrine du jeune homme est barrée d’une chaîne d’or ornée d’un élément “corallien” ou “coquiller” d’un rouge vif. Federico Zeri, qui a vu le tableau en 1976 à Chambéry, a à peine remarqué cette étrangeté. Jacques Merlet, musicologue et spécialiste de la musique baroque, a identifié le portrait d’un chanteur. Il en a parlé à Michele Doria qui organisait une exposition à Bari sur le “Temps de Niccolò Piccinni” et à Dingo Fabris, qui ont décidé de retenir le tableau pour l’exposition (Bari, hiver 2000). Dingo Fabris a noté la nudité presque complète du personnage, assez exceptionnelle pour un vrai portrait. Jacques Merlet a vu dans la “coquille” ou le “corail” du pendentif, les attributs sexuels du jeune homme, faisant de la toile un portrait de castrat. Ce qui allait dans le sens d’un certain réalisme, Jacques Merlet justifiant par là la coutume romaine de tels pendentifs, condition d’enterrement en terre chrétienne… La représentation complète, si j’ose dire, du castrat était un tableau rare. Un autre portrait, par Andrea Sacchi, du castrat romain Marcantonio Pasqualini, couronné par Apollon, en est le pendant au Metropolitan Museum of Art de New York. Notre œuvre semble appartenir enfin à une galerie de chanteurs, sopranistes à Rome, autour de la chapelle Sixtine, vers 1630, ou dans le proche entourage d’un cardinal comme cela se faisait usuellement. Avec notre sopraniste bacchusien de Dominico Frilli Croci, nous sommes plus proches des petits paysans calabrais et des héros pasoliniens aussi francs de parler (ou de chanter) que suggestifs. Si le bougre semble s’être assagi, presque figé, on n’en pressent pas moins l’égosillement. Il sera demain, au milieu d’une centaine d’autres toiles un des “phares” de la galerie italienne, dont nous tentons une nouvelle présentation dans le Musée des beaux-arts de Chambéry rénové.
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Claude Fournet
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°130 du 29 juin 2001, avec le titre suivant : Claude Fournet