Chez Nélie et Édouard

Quelques centimètres d’éclaircie qui résultent de tests opérés avant la restauration de cette œuvre emblématique des lieux, lifting programmé en même temps que seront menés, dès le 31 juillet 2023, des travaux de réfection. En attendant de voir arriver le plat du jour – un sauté de veau précédé par un fumet de viande mijotée qui s’insinue dès le vestibule d’honneur –, on réfléchit, tête renversée, à la présence anachronique de cette œuvre du maître italien dans un hôtel particulier du boulevard Haussmann.

Les époux André, férus d’art et d’histoire, ramenèrent d’Italie cette peinture, La Renommée annonçant dans les airs la visite d’Henri III, initialement conçue pour la villa Contarini, près de Padoue. Avec les cinq tapisseries XVIIIe célébrant les exploits d’Achille (provenant de l’atelier bruxellois de Jean-François et Pierre Van der Borght), les luminaires en bronze ciselé (d’après Jean-Jacques Caffieri, 1725-1792) et le buste en marbre de Madame trônant sur la cheminée, le tout forme un décor grandiose et rococo un peu dévoyé par les chaises aux montants dorés, imitant le mobilier d’époque, et la moquette assortie aux lourdes tentures cramoisies des rideaux. Même les salades ont des noms de peintres : Vigée-Lebrun au saumon fumé ou Mantegna au blanc de poulet. Le sauté de veau ? Il est moelleux, assure poliment notre commensal. La salade de penne aux écrevisses est copieuse, mais les lamelles prédécoupées de parmesan remplacent les copeaux espérés, la roquette est insipide et les pâtes ramollies par un séjour au frigo. Au dessert, il faut être raisonnable : une seule cuillerée d’une des pâtisseries proposées, saturées de sucre, suffirait à déclencher un coma diabétique. Entre deux expositions, on déjeune au calme dans la salle aux murs vert amande du plus beau salon de thé de Paris ou sur sa terrasse fermée et chauffée donnant sur la cour. Aménagée pour recevoir les visiteurs du musée, l’ancienne salle à manger des époux Jacquemart peut accueillir 80 couverts, et c’est surtout grâce à la programmation que l’on y dialogue encore, à travers le temps, avec le couple de mécènes. Nélie Jacquemart avait une prédilection pour les artistes florentins comme Botticelli, qui fut célébré par l’institution à l’automne 2021. Édouard André, pour sa part, était attiré par les peintres vénitiens comme Bellini, qui sera à l’honneur de mars à mi-juillet. On ne sait pas grand-chose de leurs goûts culinaires, mais on les imagine raffinés et l’on rêve que le restaurant de leur musée s’en inspire à la réouverture.