Les Ombres - Lorsqu’il conçut le bâtiment du Musée du quai Branly, Jean Nouvel imagina un jardin qui n’en soit pas seulement le complément, mais la quintessence.
Sous les pilotis et tout autour de l’édifice, se déploie ainsi, dans les détours d’une promenade sinueuse, un paysage de fougères et de graminées ondoyant dans la brise. Dessiné par le paysagiste et botaniste Gilles Clément, cet espace tire sur le beige doré et les verts pâles, une palette moirée qui apaise le regard et favorise la rêverie. C’est dans cet état contemplatif que l’on aborde l’exposition consacrée au kimono japonais, expression d’un raffinement codifié qui vécut son apogée au XVIIIe siècle. Dans la ville d’Edo, l’élégance allait alors de pair avec une culture du divertissement et de l’érotisme connue sous le nom de « monde flottant » (ukiyo) : on passe ainsi du jardin en teintes douces aux broderies chatoyantes représentant des oiseaux et des fleurs (mais pas seulement). Les sens s’éveillant doucement au fil de la matinée, voilà que l’on a faim. Le musée comporte deux restaurants. Le Café Jacques, de plain-pied, et Les Ombres, perché sur le toit, auquel mènent deux ascenseurs. Aux beaux jours, la terrasse, face à la tour Eiffel, est un redoutable piège à selfies. Déserte en hiver, elle se perd dans le gris du ciel de Paris, que l’on admire d’en haut, avec ses architectures haussmanniennes cossues et ses quais où filent les voitures pareilles à des jouets. Bien qu’entièrement vitrée, la salle est un cocon tiède. Très espacées, les tables offrent d’y déjeuner en toute intimité, d’autant que l’on court peu de risques de croiser ici des connaissances, le lieu étant surtout fréquenté par les touristes. Cette adresse haut de gamme – elle fait partie de la galaxie Alain Ducasse – propose certains jours une formule du midi plus abordable. Il s’agit d’un menu unique, mais le talent du chef Alexandre Sempere s’y exprime pleinement, notamment, ce jour-là, dans une entrée de betteraves fumées aux baies de genévrier et au bois de hêtre, servies avec un tartare végétal acidulé. Épurée tout en étant savoureuse, cette assiette réconcilie avec la racine charnue et sucrée que l’on apprit à détester à la cantine, mais que l’on redécouvre depuis quelques années à la carte des plus grands, rôtie, réduite en purée ou tranchée en carpaccio. La pêche du jour – un honnête lieu jaune – est accompagnée de pommes de terre un peu amollies par leur cuisson. Le dessert clôt subtilement le repas sur une note claire d’agrume ciselé, une main de Bouddha dont l’amertume légère se fond dans un skyr crémeux, rafraîchi par un granité de feuilles de citronnier. Les amuse-bouches (crackers et tartare d’algues, pressé de turbot) pour patienter, le ballet des serveurs et du sommelier, la coupelle d’huile d’olive de Sicile, la vue à couper le souffle… Au final, pas une ombre au tableau.
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Un déjeuner lumineux
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°761 du 1 janvier 2023, avec le titre suivant : Un déjeuner lumineux