En France, 150 000 amis des musées contribuent à l’acquisition et à la restauration d’œuvres, à l’éducation artistique du public et au rayonnement de leur ville. Un soutien précieux, mais parfois jugé envahissant par les conservateurs soucieux de leur indépendance.
Ils sont 150 000 bénévoles à faire partie de sociétés d’amis des musées en France, dont 60 000 pour le seul Louvre. Certaines de ces sociétés existent depuis longtemps, comme celle des musées de Bordeaux, créée en 1783, ou celle du château de Versailles, née en 1907 ; d’autres sont récentes, comme celle du musée de Ville-d’Avray, constituée en 1985, ou de la Maison européenne de la photographie. C’est l’amour de l’art et la volonté de le démocratiser qui motivent ces fans des musées. « L’art est un bien commun que l’on souhaite aussi défendre et promouvoir. L’esprit associatif, le militantisme citoyen nous unissent », observe Jean-Michel Raingeard, président de la Fédération française des sociétés d’amis des musées. Fondée en 1973, cette dernière rassemble 290 structures et 90 000 bénévoles.
Dopées par une défiscalisation du don à hauteur de 66 %, les sociétés d’amis contribuent à enrichir et à entretenir les collections. Celle du musée Fabre peut ainsi se targuer d’apporter quelque 25 000 euros par an à cette institution montpelliéraine, une somme équivalente au quart du budget d’acquisition. Même ordre de grandeur pour les Beaux-Arts de Nantes, où les bénévoles ont acheté quelque deux cents œuvres depuis la création de la société d’amis il y a quatre-vingt-dix ans.
De l’argent, du temps, des idées
Grâce à ces associations de supporters, nombre de collectionneurs ont aussi été convaincus d’offrir leurs tableaux à un musée plutôt que de les mettre en vente. Alors que l’argent public se fait rare, les amis se mettent en quatre pour solliciter les entreprises privées, n’hésitant pas à monter des visites spécifiques pour les salariés de ces mécènes, comme au musée des Beaux-Arts de Nantes.
Outre de l’argent, les amis apportent du temps et des idées. Facteurs de lien social, vecteurs d’éducation artistique et culturelle, ils organisent des jeux pour les enfants, des visites pour les scolaires, des exposés pour les démunis, des ateliers pour les personnes issues de l’immigration, et s’investissent lors d’événements tels que les fêtes locales, les journées du patrimoine, les nuits des musées... Toutes les bonnes volontés sont généralement les bienvenues. La moyenne d’âge est assez élevée, au-delà de 50 ans. « Mais ce n’est pas réservé aux retraités. Les musées d’art contemporain, par exemple, attirent beaucoup de quadras », note Jean-Michel Raingeard.
De 50 à 250 euros en général, les cotisations peuvent varier considérablement d’une société d’amis à une autre, de 15 euros à un millier voire plusieurs milliers d’euros pour certaines associations bénéficiant de conférences pointues ou de privatisations possibles, comme au Palais de Tokyo. Les « CSP » sont bien représentées dans les établissements d’art, mais dans les musées des sciences et techniques, on trouve davantage d’ouvriers et d’artisans.
Besoin de reconnaissance
En contrepartie de leurs efforts, qu’attendent ces adhérents ? À part pour les amis du Louvre, grandement motivés par le « coupe-file » procuré, le fait de ne pas payer l’entrée est rarement perçu comme un avantage déterminant : ainsi les sociétés des amis des musées de la Ville de Paris sont très actives alors que ces établissements pratiquent la gratuité. Les adhérents attendent plutôt une reconnaissance de leur action, la possibilité d’intervenir, selon le principe de subsidiarité, sur les champs de compétences, les publics et les horaires non couverts par les professionnels des musées. Ils ne veulent pas être infantilisés ni considérés comme un simple tiroir-caisse. « Les amis du Louvre, par exemple, ont tendance à être pris pour des fermiers généraux du don », déplore Jean-Michel Raingeard.
À Nantes, il y a quelques années, des divergences entre une ancienne directrice du musée des Beaux-Arts et la société d’amis hostile à sa programmation d’art contemporain avaient même abouti au départ de la directrice…
La générosité a des limites. Les conservateurs entendent rester maîtres des œuvres qui entrent au musée, et de la manière dont celles-ci sont présentées. Ces tensions ne sont pas nouvelles : Tocqueville en 1856 soulignait déjà le mépris de l’administration à l’égard de ceux qui voulaient se mêler d’affaires publiques en dehors d’elle. Pour éviter les conflits, la Fédération des sociétés d’amis incite ses adhérents à développer « une culture du contrat », à passer des conventions avec les musées ou les municipalités fixant les règles du jeu. L’implication croissante des collectivités locales dans l’investissement muséographique crée aussi une proximité censée faciliter le dialogue avec ces associations.
Certains grands musées, comme celui de la Marine à Paris, offrent même à leur société d’amis un siège au sein de leur conseil d’administration. Quant aux petits établissements, aux budgets modestes, ils négligent rarement ces passionnés souvent à l’origine même de leur création ou de leur renaissance. Au pays de l’exception culturelle, ces bénévoles aiment à rappeler qu’ils sont aussi le principal mécène de France…
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Ces amis qui veulent du bien aux musées
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°624 du 1 mai 2010, avec le titre suivant : Ces amis qui veulent du bien aux musées