BEAULIEU-EN-ROUERGUE
Léguée au Centre des monuments nationaux, la collection Brache-Bonnefoi s’installe dans les murs de l’abbaye de Beaulieu-sur-Rouergue, selon les vœux des collectionneurs. Un dialogue réussi entre abstraction française d’après-guerre et architecture cistercienne.
Beaulieu (Tarn-et-Garonne).« Une collection très personnelle », entend-on souvent dire pour qualifier un musée ou une exposition de collectionneur qui s’ouvre au public. Mais ce lieu commun sonne rarement aussi juste que dans les murs de l’abbaye de Beaulieu, où les œuvres acquises par Geneviève Bonnefoi et son mari Pierre Brache ont pris place dans l’écrin qui leur était destiné. L’inventaire des œuvres mené après le décès de Geneviève Bonnefoi en 2018 permet de saisir l’intrication de la collection à la vie intime de la critique littéraire : un collage de Dubuffet au fond d’un carton, une gouache signée Judit Reigl dans un carnet de comptabilité, un masque Teotihuacan retrouvé dans sa garde-robe… Soit une pêche miraculeuse dans les effets personnels d’une collectionneuse qui vivait avec ses œuvres.
Première étape du chantier d’installation des œuvres dans l’abbaye gérée par le Centre des monuments nationaux, l’inventaire fut « surréaliste : le commissaire-priseur, qui avait géré la succession Dora Maar, n’en revenait pas ! », se souvient Benoît Grécourt, administrateur du monument. Le contenu du logis abbatial – dont Geneviève Bonnefoi gardait l’usage après le don de l’abbaye à l’État en 1973 –, d’un garde-meuble et d’un box à la banque Neuflize révèle une collection méconnue, dont le seul inventaire réalisé auparavant par Christie’s n’avait dévoilé qu’un petit tiers. En découvrant le logis encombré, le premier réflexe aurait pu être de tout jeter, avant de comprendre qu’une œuvre majeure pouvait se trouver au fond d’un carnet. Quatre années ont été nécessaires pour mener le chantier patrimonial, muséal et paysager de l’abbaye, afin d’y installer durablement les 1 300 œuvres de la collection. Un effort soutenu à hauteur de 3 millions d’euros par le plan de relance, sur les 10 millions qu’a coûté cette rénovation. Les visiteurs ont pu découvrir le résultat fin juin.
C’est en 1959 que les Brache-Bonnefoi acquièrent l’abbaye médiévale, tombés sous le charme de la pureté de son architecture cistercienne. Le couple a déjà constitué le cœur d’une belle collection, commencée à la fin des années 1940, en se liant d’amitié avec les artistes parisiens actifs en cette période d’effervescence culturelle d’après-guerre : Dubuffet, Claude Viseux ou Fred Deux font partie de ce cercle proche… « Il y a un lien très fort entre les collectionneurs, leur collection et les artistes, souligne Benoît Grécourt. Ils achetaient ce qu’ils aimaient, ce n’étaient pas des spéculateurs. »À contre-courant du marché de l’art, la collection valorise l’abstraction française, alors que l’influence américaine commence à s’imposer, une situation qui désespérait Geneviève Bonnefoi : son ami Claude Viseux pratiquait l’action painting bien avant Jackson Pollock !
D’un côté, une collection très cohérente, aux choix tranchés, à la personnalité affirmée. De l’autre, sept siècles de patrimoine cistercien perdus dans la campagne entre le Quercy et le Rouergue. Une architecture dépouillée, aux volumes sculpturaux, qui fait écho à la nature contemplative des œuvres amassées par les Brache-Bonnefoi. « Il faut que le monument historique et la collection vivent en harmonie », explique l’administrateur : une gageure, car il faut restituer « l’esprit du lieu » qui a séduit les collectionneurs, tout en valorisant l’histoire monastique des murs. Cette dernière est traitée dans un espace d’interprétation numérique où est détaillée la vie des moines qui ont occupé l’abbaye jusqu’à la Révolution française. Le nouveau parcours muséal s’ouvre sur une salle consacrée à l’architecture de l’édifice, laquelle constitue une transition entre les grandes abbayes romanes du Sud (Sénanque, Thoronet) et celles du XIIIe siècle plus franchement gothiques (Pontigny, Royaumont). Dans les salles de la collection, l’enduit blanc des murs rend hommage à la sobriété de cette architecture, tout en accueillant les œuvres dans une sorte de « white cube » agrémenté de moulures du XVIIe siècle.
Pour forger ce parcours riche de 200 œuvres, 26 tentatives d’accrochage ont été nécessaires : il faut dire que la donation de Geneviève Bonnefoi ne s’accompagnait pas d’autres consignes que de présenter les œuvres dans l’abbaye qu’elle souhaitait léguer à l’État. Les salles puisent dans les thématiques explorées lors des expositions organisées dans l’abbaye par le couple puis par Geneviève jusqu’en 2018. « Matières », « Gestes », « Nuagisme », « Fantastique intérieur », les intitulés laissent entrevoir leur intérêt pour la plasticité et l’onirisme. Simon Hantaï, Dubuffet et Henri Michaux ont chacun leur salle dédiée.
Porte d’entrée sur la collection, et lien avec le monument, Lumière d’aube (1963) de Marcelle Loubchansky (1912-1988) ouvre le bal, dans la salle qui présente les collectionneurs et leur démarche. La grande toile atmosphérique condense les orientations contemplatives de la collection, mais fait aussi écho aux tons crème de l’abbaye et de son église. C’est cette dernière qui clôt le parcours : malgré ses dimensions monumentales, le triptyque de Jaroslav Serpan (1922-1976) commandé par le couple pour trôner dans le chœur semble perdu dans un monochrome de pierre…
Au sein du parcours muséal, le monument s’est également invité, avec la découverte et la stabilisation de décors peints du XVIIe siècle surplombant les cheminées. Certains de ces décors laissent, en lieu et place du traditionnel miroir ou tableau placé au-dessus de l’âtre, un mystérieux espace blanc en réserve. Un cadre délibérément vierge qui devait inviter les moines à l’ascèse et à la réflexion : contemplation, toujours.
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Beaulieu, une abbaye et une collection d’art
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°593 du 8 juillet 2022, avec le titre suivant : Beaulieu, une abbaye et une collection d’art