PARIS
Créé en 1905 mais fermé depuis 1996, le Musée des arts décoratifs rouvre le 15 septembre à Paris après dix ans de travaux (1). L’institution occupe dorénavant 9 000 mètres carrés du palais du Louvre, espace revisité par quatre équipes d’architectes pour accueillir une sélection de 6 000 objets issus de ses collections. Arrivée à la tête de l’institution en 2000, Béatrice Salmon a mené à bien les chantiers sur le bâtiment et les collections, avant de concevoir le parcours de la visite. À l’occasion de cette réouverture événement, elle commente l’actualité.
La restructuration du Musée des arts décoratifs s’est opérée en partie grâce à des fonds privés. Cette recherche d’argent a-t-elle été difficile au moment où tous les musées font désormais appel au mécénat ?
Le ministère de la Culture a apporté 20 millions d’euros pour cette rénovation et nous avons mobilisé un peu plus de 14 millions d’euros de mécénat. Ces derniers ont été affectés à la fois à des zones du chantier – les period rooms, la salle de conférence, les ateliers pédagogiques, la reprise du hall d’accueil – et aux collections. Mobiliser cette somme n’a pas été simple. Mais cette recherche de fonds fait partie de notre « patrimoine génétique » dans la mesure où, depuis l’origine, cette maison a existé sur la base d’initiatives privées. Les collections sont à 95 % le fait de la générosité de privés. La présidente de l’institution, Hélène David-Weill, a, dans ce contexte, joué un rôle absolument déterminant. Dès son arrivée à la tête de la maison, en 1995, elle a mis en place un comité international composé de personnalités privées. Nous avons aussi une fondation aux États-Unis, les Friends of the Musée des arts décoratifs, qui permet aux donateurs de bénéficier des avantages fiscaux en vigueur là-bas. Ce dispositif s’est révélé primordial dans la mobilisation de ces sommes.
Des noms de salles ont été attribués à des mécènes. Le Musée des arts décoratifs est aussi celui qui réunit le plus grand nombre de period rooms en Europe. Son modèle n’est-il pas plutôt américain qu’européen ?
C’est vrai que la première pratique a longtemps été plutôt anglo-saxonne. Pour autant, les donateurs dans les musées français ont aussi souvent voulu voir leur nom figurer. Ils n’ont pas toujours été entendus, mais c’est un désir qui me semble légitime. Quant aux
period rooms, une dizaine jalonneront le parcours et permettront au public d’être confronté à des modes de vie du XVe au XXe siècle.
Quel était l’avancement du projet de restructuration quand vous êtes arrivée à la tête de l’institution ?
Le musée était déjà fermé depuis quatre ans. Après avoir remis en cause le projet précédent, mon prédécesseur, Marie-Claude Beaud, avait identifié les quatre équipes d’architectes et instauré une distinction entre les galeries thématiques et le parcours chronologique. À mon arrivée, en mai 2000, nous avons validé les grands principes de circulation. Tout le travail des choix muséographiques, des rythmes s’est effectué ensuite.
La gestion de quatre équipes d’architectes n’a-t-elle pas été compliquée ?
Il aurait probablement été plus simple d’en gérer une seule, même si les attributions ont été pertinentes. Les espaces des galeries thématiques, attribuées à Bernard Desmoulin, devaient être différenciés du parcours chronologique. De son côté, Sylvain Dubuisson a conçu un traitement distinct pour le département moderne et contemporain. Je pense aujourd’hui que c’est un atout d’avoir travaillé avec ces quatre équipes.
Dans le parcours, le visiteur passe sans transition de Dubuffet aux jouets. Ce choix est-il dicté par la structure des collections ou bien par une volonté de créer des ruptures ?
Il m’a semblé que l’univers de l’art de Jean Dubuffet et celui de l’enfance à travers les jouets n’étaient pas si éloignés. Il est certain que la collection Dubuffet constitue l’accident heureux du Musée des arts décoratifs. Le public sera peut-être surpris de découvrir cette présence. Elle est le fruit d’une rencontre singulière entre un artiste, un conservateur de musée et une institution. Cet ensemble est une formidable chance, parce que la collection que Jean Dubuffet a lui-même montée n’a pas d’équivalent dans d’autres institutions. Dubuffet était une personnalité atypique et, pour moi, Les Arts décoratifs ont toujours travaillé la marge. Cette liberté de pensée me paraît essentielle.
Le design est très à la mode actuellement et il a beaucoup été question de la création d’un musée du design à Paris. Le Musée des arts décoratifs n’a-t-il pas vocation justement à être ce musée du design ?
Je ne peux qu’aller dans ce sens. Pour moi, il est là ce musée. D’ailleurs, à côté de la collection proprement dite, nous organiserons trois expositions par an dans une galerie d’actualité. J’ai aussi voulu que le public qui se rendra au 107, rue de Rivoli soit obligé de traverser l’histoire des arts décoratifs avant d’arriver au design. Notre programmation temporaire sera également une manière d’être un musée du design à l’image de nos deux premières grandes expositions, « Éditer le design » et « Joe Colombo ».
Pour sa réouverture, le Musée des arts décoratifs s’est associé à la Biennale des antiquaires. Réalisez-vous traditionnellement beaucoup d’acquisitions dans cette manifestation ?
Non, cela ne s’est jamais fait. J’ai été très désireuse, avec Hélène David-Weill et Christian Deydier, président du Syndicat national des antiquaires, d’associer les deux événements. Le décorateur, François-Joseph Graf, apparaît aussi comme l’un des liens entre ces deux manifestations puisqu’il est en charge à la fois de nos period rooms et de la Biennale. Que la Biennale se tienne au Grand Palais constitue une formidable opportunité. Géographiquement, nous appartenons au même espace. D’évidence, le public est le même. Notre partenariat permettra au détenteur de billet pour un événement de bénéficier du demi-tarif pour l’autre. Notre intérêt est commun. Les antiquaires ont besoin de musées et les musées ont besoin des antiquaires.
Le Musée du quai Branly est l’autre grand musée qui a ouvert cette année à Paris. Qu’en avez-vous pensé ?
Nous sommes très différents. Le Musée du quai Branly, c’est d’abord un geste architectural, là où nous travaillons dans le respect d’une architecture de la fin du XIXe siècle ; le noir, quand nous avons privilégié la lumière ; le spectacle, là où nous pratiquons un refus de la mise en scène ; beaucoup de moyens publics, là où nous ne disposons pas des mêmes facilités ; enfin, les collections du Quai Branly ont beaucoup à voir avec le sacré alors que le Musée des arts décoratifs se consacre plutôt aux arts du quotidien… Oui, tout cela nous distingue.
Il existe au moins un point commun, c’est le travail réalisé sur les collections et leur restauration…
Effectivement. Les six mille objets présentés ont fait l’objet d’une restauration. C’est un programme que j’ai mis en place dès mon arrivée. Nous avons la chance de disposer en interne de compétences, auxquelles nous avons agrégé une centaine de collaborateurs venus apporter leur savoir-faire. Nous allons continuer, et la convention qui nous lie sur trois ans avec le Crédit agricole porte justement sur ces problématiques de restauration. BNP Paribas nous permet par ailleurs de préserver l’ensemble de la collection d’arts graphiques de Dubuffet. La poursuite des restaurations fait partie des grands enjeux de demain.
Quelles sont les expositions qui vous ont marquée dernièrement ?
Je suis allée plusieurs fois au Mac/Val à Vitry-sur-Seine et j’y suis retournée pour voir l’exposition de Claude Lévêque, qui m’a ravie, autant que mon passage au restaurant ! C’est une institution réunissant, au départ, un certain nombre de handicaps, mais qui sait travailler avec beaucoup d’intelligence et de justesse. Le lieu est vraiment fréquenté ; c’est un endroit qui, pour moi, compte. J’ai aussi vu avec un grand bonheur l’exposition « Dan Flavin » au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, un exemple de rétrospective aboutie. Et puis, je voudrais parler d’un troisième lieu, en province, un lieu avec lequel nous avons déjà engagé un dialogue pour des projets communs : le Centre national du costume de scène de Moulins [Allier] (2). Il a été inauguré cet été avec une exposition pleine d’esprit, « Bêtes de scène ». Nous avons un projet commun autour de Jean Paul Gaultier et Régine Chopinot, lesquels ont longtemps collaboré à l’occasion de nombreux ballets dont les costumes viendront enrichir nos collections respectives.
(1) Musée des arts décoratifs, 107, rue de Rivoli, 75001 Paris, tél. 01 44 55 57 50.
(2) lire le JdA no 241, 7 juillet, p. 6.
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Béatrice Salmon, directrice des musées des Arts décoratifs
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°242 du 8 septembre 2006, avec le titre suivant : Béatrice Salmon, directrice des musées des Arts décoratifs