Centre d'art

Amsterdam : trois lieux peu ordinaires

Par Amiel Grumberg · L'ŒIL

Le 1 décembre 2003 - 1262 mots

AMSTERDAM / PAYS-BAS

Dans l’ombre de Berlin ou de Paris, Amsterdam continue de compter sur la scène artistique contemporaine. Découverte de trois lieux et de trois directrices qui témoignent d’une diversité et d’un dynamisme sans cesse réactivés dans cette ville.

De Appel : le pionnier
Tango, salsa, cha-cha-cha, la salle de bal de l’artiste Jung Yeon-Doo a su charmer les visiteurs du premier vernissage de l’année à De Appel. Avec l’exposition « Demirorised Zone », dédiée à la jeune création sud-coréenne, les habitués retrouvent avec bonheur l’ouverture sur le monde qui leur fait aimer ce lieu depuis plus de vingt-cinq ans.

Fondé en 1975 à l’initiative de Wies Smals, dans un bâtiment éponyme, De Appel n’a eu de cesse d’ouvrir les yeux du public néerlandais sur une scène artistique internationale. Essentiellement dédié au Body Art dans ces premières années, De Appel fut le premier lieu d’Amsterdam à présenter les performances des actionnistes viennois, de Valie Export, ou de Marina Abramovic et Ulay ; suivront Dan Graham, Lawrence Wiener… Saskia Bos reprend la direction de De Appel en 1984 et s’installe dans un nouvel espace dès 1986 pour sept années d’expérimentations autour du concept d’installation, avec des projets de Franz West ou Ilya Kabakov. En déménageant en 1992 dans le bâtiment actuel de la Niewe Spiegelstraat, à deux pas de l’esplanade des musées, De Appel a gagné en visibilité et le nombre de ses visiteurs s’est largement accru au cours de la dernière décennie. Anri Sala, Fabrice Hybert, Candice Breitz, Elsa-Liisa Ahtila, l’institution présente chaque année une programmation internationale de qualité, qui mêle habilement jeunes créateurs émergents et artistes confirmés.

Grâce à son sens aigu de l’autocritique Saskia Bos a toujours su se remettre en question et emprunter régulièrement de nouvelles voies. Son Curatorial Training Programm, créé en 1994 et inspiré par le modèle initial de l’école du Magasin, participe largement de cette démarche. Chaque année, un petit groupe de jeunes commissaires venus du monde entier s’installe au dernier étage du bâtiment pour quelques mois de voyages, rencontres, et discussions qui débouchent sur un projet d’exposition à De Appel. Sensé combler le vide qui sépare les études universitaires de la pratique quotidienne du métier de commissaire d’exposition, ce programme permet aussi à Saskia Bos de développer un espace d’échange et de discussion au sein même de l’institution, et d’explorer toujours plus avant les scènes artistiques du monde entier.
De Appel, Nieuwe Spiegelstraat 10, 1017 DE Amsterdam, tél. 31 020 62 55 651, www.deappel.nl

W139 : tout est possible
Avec l’exposition « Enfin la fin », W139 célébrait en octobre dernier son vingt-quatrième anniversaire, et s’apprête à vivre un nouveau tournant dans une histoire déjà mouvementée. Cette commémoration intervient en effet quelques mois après la nomination de sa nouvelle directrice, Ann Demeester, et quelques mois avant la complète rénovation du lieu enfin planifiée pour 2004, après de nombreux reports.

Le travail de documentation effectué à l’occasion de cette exposition rétrospective facilite un nécessaire flash-back historique sur un passé pour le moins rocambolesque. À la fin des années 1970, rien ne laissait présager de l’avenir artistique de ce cabaret chaud laissé à l’abandon au cœur du célèbre Quartier rouge d’Amsterdam, au 139 de la très agitée Warmoestraat. Dès la fin des années 1970, les nombreux immeubles ruinés du quartier ont attiré des dizaines de squatters, pour la plupart de jeunes artistes simplement soucieux de disposer librement d’un espace de travail. En s’associant, ceux-ci ont rapidement bénéficié d’une carte blanche des propriétaires et des autorités municipales pour développer un lieu alternatif autogéré par des artistes, dont l’originalité a rapidement suscité la curiosité grandissante des milieux plus institutionnels et du jeune public. Au fil du temps, W139 a toujours su conserver sa générosité et sa soif d’expérimentation originelles. Faisant fi des difficultés budgétaires et de l’invasion progressive de l’industrie touristique dans le quartier, W139 a ainsi toujours joué son rôle de terre d’asile pour la jeune création, toutes disciplines confondues.

Ancienne assistante de Jan Hoet au Smak de Gand, Ann Demeester a donc repris les rènes d’un lieu uniquement dirigé par des artistes depuis son ouverture en 1979. La dizaine de projets qu’elle a organisée depuis son arrivée s’inscrit dans la lignée sociopolitique initiée par son prédécesseur, l’artiste Jean Bernard Koeman. Contrainte par des travaux imminents de trouver chaque fois un espace différent pour accueillir ses projets, Ann Demeester explore ainsi divers lieux et diverses problématiques inhérentes à la ville d’Amsterdam. Après l’intervention de l’artiste albanais Sisley Xhafa dans plusieurs quartiers immigrés, et une prochaine exposition collective titrée « Intravention » dans le musée historique Amstelkring, Ann Demeester prépare actuellement « Grauzone/Libertines », un projet réunissant des artistes qui travaillent à la frontière de l’illégalité, pour une série d’actions qui devraient faire grand bruit.

Pendant ce temps, la façade du bâtiment de la Warmoestraat est confiée à l’artiste croate Tomo Saviç-Gecan, qui va régulièrement simuler l’arrivée de nouveaux propriétaires. Pour sa première intervention, il a ainsi invité la galerie Nova de Zagreb à prendre fictivement possession de l’espace le temps d’un vrai/faux vernissage, semant encore un peu plus le trouble dans la perception de ce lieu décidemment peu ordinaire.
W139, Warmoestraat 139, 1012 JB Amsterdam, tél. 31 020 622 9434, www.w139.nl

Quarantine Series : espace à vivre
Un vent nouveau sur les bords des docks de l’est depuis l’ouverture de Quarantine Series en juin dernier. Plusieurs fois par mois, le lieu accueille un panel de critiques, curators, ou musiciens pour des séries de projections, de discussions, et de concerts en forme de carte blanche donnée à l’artiste exposé dans le même temps, à Alain Declercq en août, et Plamen Dejanoff en septembre.

Dans ce quartier en pleine restructuration, cet ancien bâtiment de quarantaine pour les postulants au départ vers les États-Unis accueille désormais des ateliers d’artistes dans les étages, un café/restaurant, et un microespace d’exposition au rez-de-chaussée. En initiant ce nouvel espace alternatif, Nina Folkersma souhaite avant tout proposer de nouveaux formats et de nouvelles manières de présenter l’art, dans une atmosphère conviviale et spontanée. Après un passage dans le Curatorial Training de De Appel, et plusieurs années de collaboration avec le magazine d’art Metropolis M, Nina Folkersma a désormais l’ambition d’élargir le concept d’exposition et de le doter d’une dimension live.

Ainsi les soirées « Off the Wall et Wonderwall » consacrées aux artistes présentés revêtent une importance au moins égale à l’exposition elle-même. Dans cette volonté de développer de nouveaux formats d’exposition, Nina Folkersma s’attache à utiliser ses outils de communication comme de potentiels supports artistiques. En plus du site web et de son étonnant générateur de couleurs développés par Luna Maurer et Joes Koppers, elle fait chaque fois appel à des graphistes néerlandais différents pour produire les cartons d’invitation, et s’attache à utiliser des polices d’écriture restées inédites. Quarantine Series offre également la possibilité au public amstellodamois de suivre à distance les événements majeurs de la scène artistique internationale. Le lieu a ainsi été inauguré avec un documentaire consacré à la Biennale de Venise et réalisé par Nina Folkersma et son équipe au moment des journées professionnelles, et devrait récidiver prochainement en fonction de l’actualité. Soucieuse de s’engager dans une voie nouvelle, et de développer une programmation personnelle et inédite, Nina Folkersma multiplie les voyages dans les pays voisins. Elle s’attache ainsi à présenter le travail de jeunes artistes internationaux qui ont peu ou jamais exposé aux Pays-Bas. Après Alain Declercq, et le Bulgare Plamen Dejanoff, le programme de la première année se poursuit ainsi avec le Norvégien BØrre Saethre.
À suivre avec intérêt.
Quarantine Series, Rietlandpark 375, 1019 EM Amsterdam, tél. 31 020 419 3851, www.quarantine.nl

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°553 du 1 décembre 2003, avec le titre suivant : Amsterdam : trois lieux peu ordinaires

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